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POUR QU’ON LISE PLATON

l’ai remarqué plus haut ; ils enchaînent ceux qui sont nés avec de plus grandes qualités qu’eux ; et ne pouvant fournir à leurs passions de quoi les contenter, ils font, par pure lâcheté, l’éloge de la tempérance et de la justice. Et, dans le vrai, quiconque a eu le bonheur de naître de parents rois, ou bien qui a assez de grandeur d’âme pour se procurer quelque souveraineté, comme une royauté ou une tyrannie, y aurait-il rien de plus honteux et de plus dommageable que la tempérance, lorsque des hommes de ce caractère, pouvant jouir de tous les biens de la vie, sans que personne les en empêchât, se donneraient à eux-mêmes pour maîtres les lois et les discours et la censure du vulgaire ? Comment cette beauté prétendue de la justice et de la tempérance ne les rendrait-elle pas malheureux, puisqu’elle leur ôterait la liberté de donner plus à leurs amis qu’à leurs ennemis ; et cela tout souverains qu’ils seraient dans leur propre ville ? Tel est l’état des choses dans la vérité, Socrate, après laquelle tu cours, à t’en croire. La mollesse, l’intempérance, la licence, lorsqu’il ne leur manque rien, voilà la vertu et le bonheur. Toutes ces autres belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que des extravagances humaines auxquelles il ne faut avoir nul égard. »