Page:Faguet - Pour qu’on lise Platon, Boivin.djvu/33

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plorer ; mais il ne faut pas s’en étonner. Il en est d’un peuple comme d’un individu et d’une citéexactement comme d’une âme. Or ne voyez-vous pas qu’il y a des âmes, et nombreuses, et les plus nombreuses peut-être, qui méconnaissent la partie saine d’elles-mêmes, ou qui, plutôt, sans la méconnaître, ne peuvent point se résigner à lui obéir et en définitive aiment mieux être gouvernées par leur ignorance que par leur savoir ? — « Quelle est la plus grande ignorance ? La voici, à mon avis. C’est lorsque, tout en jugeant qu’une chose est belle ou bonne, au lieu de l’aimer on l’a en aversion, et encore lorsqu’on aime et embrasse ce qu’on reconnaît comme mauvais ou injuste. C’est cette opposition qui se trouve entre nos sentiments d’amour ou d’aversion et le jugement de notre raison que j’appelle une ignorance extrême. Elle est en effet la plus grande, parce que, si on envisage notre âme comme un petit État, elle en affecte la partie mobile, celle où résident nos plaisirs et nos peines et qu’on peut comparer à la multitude et au peuple. J’appelle donc ignorance cette disposition de l’âme qui fait qu’elle se révolte contre la science, le jugement, la raison, ses maîtres légitimes : elle règne dans un État lorsque le peuple se soulève contre les magistrats et les lois ; elle règne dans un particulier lorsque les bons principes qui sont dans