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OEUVRES D’HÉSIODE,

TRADUITES PAR M. A. BIGNAN.




ESSAI SUR HÉSIODE.




Il y a des noms qui ont passé à la postérité avec les impérissables et gigantesques monumens des anciens âges, dont ils offrent le résumé vivant ; c’est en eux seuls que tous les autres se sont absorbés et comme perdus : semblables aux débris du monde antédiluvien, ils ont survécu à tous les cataclysmes sociaux et politiques pour servir de jalons destinés à marquer les pas de l’humanité dans les voies successives de la civilisation. Tels sont les trois grands noms d’Orphée, d’Homère, d’Hésiode, trinité symbolique des trois phases que dans l’origine l’esprit grec a parcourues. Orphée, Homère, Hésiode ont été les premiers initiateurs de la Grèce dans le culte, dans l’histoire, dans la morale. Leur poésie, chargée d’une sorte de sacerdoce, a chanté les dieux, célébré les héros et gravé les préceptes de la justice et de la sagesse dans l’âme des peuples. Le scepticisme moderne a contesté ou nié leur existence. Sans doute les hymnes revêtus du nom d’Orphée portent une date postérieure au siècle de cet ancien chantre, puisque ce fut Onomacrite qui, sous les Pisistratides, les composa ou du moins rajeunit entièrement leur forme. Le nombre immense des ouvrages attribués à Homère et à Hésiode est un motif de croire que ces deux grands hommes n’ont pu en être les seuls auteurs ; mais si leurs contemporains et la postérité ont mis sur leur compte des travaux étrangers, est-ce là une raison suffisante pour ne voir en eux que des êtres imaginaires et abstraits ? Comment supposer que toute l’antiquité grecque et latine soit tombée dans l’erreur sur la réalité de faits dont l’époque n’était pas encore très-éloignée et sur lesquels on n’avait aucun intérêt à la tromper ? D’où serait provenue l’idée d’un Orphée, d’un Homère, d’un Hésiode, si trois poëtes de ce nom n’avaient point existé ? Cette existence ne semble-t-elle pas plutôt confirmée par la variété même des récits auxquels leur vie a servi de texte, par l’empressement des peuples à se disputer le privilège de leur berceau et de leur tombe, et surtout par le choix que l’opinion commune a fait de leur personne pour leur attribuer tant d’ouvrages ? Après tout, la question relative à la personnalité réelle ou supposée de ces anciens poëtes ne doit pas nous occuper longtemps. Qu’importent des noms ? Leurs œuvres nous restent ; c’est là qu’il faut étudier les secrets de leur génie. Avant d’examiner les ouvrages d’Hésiode, reportons nos regards sur les époques antérieures, parce qu’ils nous offrent un frappant synchronisme des antiques croyances déjà déchues et des croyances nouvelles prêtes à s’élever.

Le fleuve de la religion et de la poésie grecques se forma des nombreuses sources qui, des hauteurs de l’Himalaya, des vallées du Nil, des rives de l’Euphrate et du Tanaïs, se dirigèrent vers la même contrée. Mais leurs flots, ballottés les uns contre les autres, luttèrent longtemps avant de suivre un même cours. Les deux races japhétique et sémitique, se trouvant face à face dans la Grèce, reprirent leurs haines, recommencèrent leurs combats ; les sacerdoces rivaux de l’Asie et de l’Europe se persécutèrent tour à tour, jusqu’à ce que la théologie orphique rassemblât les élémens de ces cultes divers et les concentrât dans une seule doctrine. Alors la théocratie, qui s’établit au berceau de tous les peuples, essaya de prendre possession du sol de la Grèce. Quoiqu’elle n’y ait jamais régné aussi impérieusement que dans l’Inde, dans la Perse, dans l’Égypte, chez les Hébreux ou chez les Étrusques, cependant, à travers les épais nuages dont est chargé le ciel mythologique de l’ancienne patrie de Linus et d’Orphée, on voit percer quelques rayons qui laissent découvrir son vague et mystérieux fantôme. La religion primitive des Grecs avait personnifié les astres, les vents, les métaux, les révolutions physiques du globe, les travaux de l’agriculture, les inventions des arts ; non contente de diviniser toutes les puissances cosmiques, surnaturelles et intelligentes, elle avait emprunté à l’Orient l’usage d’envelopper sa doctrine de formes énigmatiques ; ses sentences étaient brèves, synthétiques, profondes ; pour en traduire le texte, elle les métamorphosait en figures destinées à pénétrer dans l’esprit par l’organe de la vue ; elle revêtait ses idées d’un corps ; elle matérialisait sa pensée ; en un mot, elle parlait la langue du symbole. Le symbole domina jusqu’à la naissance