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rapport de la religion, à une époque bien antérieure, puisqu’il constate cette croyance des premiers siècles du polythéisme que les dieux et les hommes étaient issus d’une commune origine. Hésiode, ici comme dans la Théogonie, est toujours le chantre de deux époques. S’il cherche à corriger ses contemporains, c’est en évoquant d’anciens souvenirs, c’est en prononçant des commandemens et des interdictions qui ressemblent aux dogmes des religions sacerdotales, c’est en revêtant sa muse de cette forme sentencieuse qu’affectait la poésie symbolique des temps primitifs. La formule des anciens oracles a contribué également à resserrer cette poésie dans les limites d’une expression brève et synthétique dont elle ne se dégagea entièrement qu’à l’apparition de l’épopée. L’histoire nous a conservé le souvenir de plusieurs poèmes didactiques qui datent de cette première période. Pausanias (Béotie, t. 31) cite les Préceptes de Chiron pour l’éducation d’Achille, et Plutarque (Vie de Thésée) les sentences morales du vieux Pitthée. Clément d’Alexandrie rapporte (Stromates, liv. 1, p. 2361) un vers d’un poëme intitulé la Titanomachie, d’après lequel le centaure Chiron avait enseigné aux hommes la religion du serment, les sacrifices et les formes de l’Olympe. Suivant Diogène de Laerte, Musée chanta le premier la théogonie et la sphère. Orphée, dit-on, composa un poëme des Travaux et des Jours. Tzetzès prétend qu’Hésiode avait fait quelques emprunts à Mélampe. Telles sont les sources où Hésiode a puisé peut-être l’idée principale et les détails de son ouvrage. Mais comme le temps n’a point respecté les poèmes antérieurs au sien, nous pouvons placer les Travaux et les Jours à la tête de toutes les œuvres didactiques et gnomiques de l’antiquité grecque. Hésiode ouvrit la carrière où marchèrent Solon, Simonide, Phocyclide, Théognis, Pythagore, Mimnerme, Panyasis, Rhianus, Evénus, Eratosthène, Naumachius, Oppien, Nicandre et Aratus.

Son poëme est donc pour nous le premier qui consacre l’union féconde de la poésie avec la morale et la science ; il ne peut avoir été composé que dans un temps où l’épopée en décadence fut remplacée par des ouvrages qui renfermèrent non plus le récit des anciens exploits, mais d’utiles préceptes applicables à la religion et à la vie champêtre ou domestique. Les Travaux et les Jours, chantés par fragmens comme la Théogonie, exercèrent sans nul doute une salutaire influence : la sagesse de leurs préceptes dut ramener les peuples de l’existence oisive de la place publique aux occupations honnêtes et profitables de l’agriculture et de l’industrie, à des idées de morale, d’ordre et de justice. La plupart de ces maximes devinrent proverbiales, grâce à la mesure du vers, qui rend plus durable la forme de la pensée. Le patriarche Photius rapporte, d’après un ancien auteur, que ce poëme était si cher à Séleucus Nicator qu’après sa mort il fut trouvé sous son chevet. Ainsi Alexandre dormait sur la cassette d’or qui renfermait le chef-d’œuvre du prince de l’épopée.

Si la critique a signalé plusieurs lacunes dans la Théogonie et dans les Travaux et les Jours, le Bouclier d’Hercule est encore bien moins complet, puisqu’il n’offre qu’un fragment qui a dû appartenir à deux ouvrages différens. Les cinquante-six premiers vers, qui parlent de l’amour de Jupiter et d’Alcmène, du retour d’Amphitryon et de la naissance d’Hercule se rattachent probablement au poëme intitulé Mégalai Êoiai, dans lequel Hésiode chantait les femmes les plus célèbres de la Grèce, tandis que la description du combat de Cycnus et d’Hercule, et du bouclier de ce dernier héros, a pu avoir été détachée d’un autre ouvrage intitulé Généalogiai êrôicai ou Êrôogonia, que le poète avait consacré à la louange des héros les plus fameux. Cette dernière partie présente une plus forte empreinte de la couleur homérique que le commencement. Nous ne serions pas éloignés de croire qu’elle a été l’œuvre de quelque rhapsode. Le bouclier d’Achille dans l’Iliade a pu servir de type à celui de cet Hercule dont la gloire n’était pas moins répandue que la gloire du vainqueur d’Hector. C’est dans les jeux célébrés aux environs de Thèbes qu’on aura eu l’idée de chanter l’Hercule thébain. Ainsi le morceau des Mégalai Êoiai qui concerne la naissance de ce héros aura été rattaché à la description de son bouclier et de son combat avec Cycnus. L’école alexandrine assignait à la composition du Bouclier d’Hercule une date très-ancienne. Parmi les critiques modernes, Scaliger la fait remonter jusqu’au siècle de Solon et de Tyrtée.

Quant au poëme des Mégalai Êoiai, que le temps ne nous a point conservé, Pausanias rapporte (Béotie, c. 31) que certains peuples le regardaient comme étant d’Hésiode ; il est attribué à ce même poëte par Athénée et par les scholiastes d’Apollonius de Rhodes, de Pindare et de Sophocle. Dans l’origine, ce poëme dépendait peut-être de la Théogonie, dont les deux derniers vers semblent propres à faire naître une telle conjecture. Ce n’est que plus tard qu’on l’en aura séparé, pour lui donner un titre spécial. Hésiode y célébrait les héroïnes les plus illustres, en les proposant pour modèles aux femmes de son siècle ou en les comparant toujours les unes avec les autres. Or, chaque comparaison commençant par cette formule : ê oiê ou telle que, c’est de là qu’est venu le titre général de Êoiai : on sait qu’autrefois les premiers mots des ouvrages de poésie servaient souvent à les faire désigner. Quant à l’épithète de Mégalai, quelques savans pensent qu’elle est provenue du grand nombre de vers que ce poëme renfermait ; l’importance des héroïnes qui étaient célébrées a pu aussi lui donner naissance. Quoi qu’il en soit, ce titre n’a pas été inventé par les grammairiens ; s’il ne remonte pas jusqu’au premier auteur du poëme, il a dû au moins être