Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/143

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loin de présenter cet enchaînement de faits, cette liaison d’idées qui, malgré des contradictions partielles, dominent l’ensemble des époques d’Homère, sa poésie est trop souvent elliptique, serrée, obscure. Quoiqu’elle appartienne au dialecte ionien, nous ne lui trouvons pas en général cette douceur si vantée par Denys d’Halicarnasse et par d’autres critiques ; il semble qu’on reconnaisse quelquefois en elle un reste d’archaïsme de l’époque anté-homérique.

Hésiode n’en est pas moins digne d’une étude sérieuse, surtout pour le fond de sa poésie. L’examen de ses œuvres prouve que sa pensée, malgré de fréquens retours vers un ordre de choses dès longtemps aboli, a été novatrice et progressive. Habile à seconder la marche de l’humanité dans ses initiations graduelles de siècle en siècle, elle a contribué puissamment à améliorer la morale en proclamant la supériorité du travail et de l’économie sur la paresse et sur la prodigalité, la religion en lui faisant faire un pas de plus vers ce dernier degré de perfection qu’elle ne devait atteindre que dans Pindare et dans Sophocle, la politique en poussant les esprits vers ces idées républicaines qui développèrent en Grèce le germe de tant de gloire et de liberté. Tel était l’auguste privilège des muses antiques : intimement liées au culte et aux mœurs populaires, chaque corde de leur lyre répétait, comme un fidèle écho, les divers sentimens qui vibraient dans le cœur de la nation ; leur voix inspiratrice immortalisait les grands événemens guerriers ou politiques, les saintes et vieilles croyances, les utiles maximes d’équité, de sagesse et de vertu. Le chantre alors exerçait l’autorité du législateur ; un vers d’Homère, un précepte d’Hésiode, étaient révérés comme une loi de Lycurgue ou de Solon. Ce pieux respect, qui semble placer dans le ciel même le berceau de la poésie, n’appartient qu’à la jeunesse des peuples. Plus ces peuples vieillissent et plus le domaine du positif usurpe celui de l’idéal et du merveilleux. La poésie devient, non plus la base nécessaire, mais une simple décoration de l’édifice social : objet de vaine distraction pour quelques individus, elle ne pénètre plus, victorieuse, dans l’esprit des masses. Lorsque tant de puissans intérêts absorbent l’attention générale des états modernes, l’art restera peut-être longtemps encore sans construire un de ces monumens dont le large frontispice appelle tout d’abord les regards des contemporains et dont les fondemens solides résistent au cours dévorant des siècles. Mais si son avenir peut sembler incertain, étudions son passé avec une nouvelle ardeur ; la Grèce est le pays où il eut le plus de spontanéité, le plus de vérité, le plus d’indépendance. C’est donc vers cette terre privilégiée que notre pensée reconnaissante doit surtout se reporter comme vers la source primitive d’où jaillirent ces flots de poésie, d’éloquence, de philosophie et d’histoire qui, après avoir traversé les siècles d’Homère et de Périclès, fécondèrent le sol de l’Italie sous Auguste et sous Léon X et firent éclore dans notre France les palmes éternellement florissantes du talent et du génie.