Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/146

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père Saturne, distribua équitablement à tous les dieux les emplois et les honneurs.

Voilà ce que chantaient les Muses habitantes de l’Olympe (18), les neuf filles du grand Jupiter, Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie et Calliope, la plus puissante de toutes, car elle sert de compagne aux rois vénérables. Lorsque les filles du grand Jupiter veulent honorer un de ces rois, nourrissons des cieux, dès qu’elles l’ont vu naître, elles versent sur sa langue une molle rosée, et les paroles découlent de sa bouche douces comme le miel. Tous les peuples le voient dispenser la justice avec droiture lorsqu’il apaise tout à coup un violent débat par la sagesse et l’habileté de son langage, car les rois sont doués de prudence afin que, sur la place publique, en proférant de pacifiques discours, ils fassent aisément restituer à leurs peuples tous les biens dont ils ont été insolemment dépouillés. Tandis que ce prince marche dans la ville, les citoyens, remplis d’un tendre respect, l’invoquent comme un dieu et il brille au milieu de la foule assemblée. Tel est le divin privilège que les Muses accordent aux mortels.

Les Muses et Apollon, qui lance au loin ses traits, font naître sur la terre les chantres et les musiciens ; mais les rois viennent de Jupiter. Heureux celui que les Muses chérissent ! un doux langage découle de ses lèvres. Si un mortel, l’âme déchirée par un récent malheur, s’afflige et se lamente, qu’un chantre, disciple des Muses, célèbre la gloire des premiers hommes et des bienheureux immortels habitans de l’Olympe, aussitôt l’infortuné oublie ses chagrins ; il ne se souvient plus du sujet de ses maux et les présens des vierges divines l’ont bientôt distrait de sa douleur.

Salut, filles de Jupiter, donnez-moi votre voix ravissante. Chantez la race sacrée des immortels nés de la Terre et d’Uranus couronné d’étoiles, conçus par la Nuit ténébreuse ou nourris par l’amer Pontus. Dites comment naquirent les dieux, et la terre, et les fleuves, et l’immense Pontus aux flots bouillonnans, et les astres étincelans, et le vaste ciel qui les domine ; apprenez-moi quelles divinités, auteurs de tous les biens, leur durent l’existence ; comment cette céleste race, se partageant les richesses, se distribuant les honneurs, s’établit pour la première fois dans l’Olympe aux nombreux sommets. Muses habitantes de l’Olympe, révélez-moi l’origine du monde et remontez jusqu’au premier de tous les êtres.

Au commencement exista le Chaos, puis la Terre à la large poitrine, demeure toujours sûre de tous les immortels qui habitent le faîte de l’Olympe neigeux ; ensuite le sombre Tartare, placé sous les abîmes de la terre immense ; enfin l’Amour, le plus beau des dieux, l’Amour, qui amollit les âmes, et, s’emparant du cœur de toutes les divinités et de tous les hommes, triomphe de leur sage volonté. Du Chaos sortirent l’Erèbe et la Nuit obscure (19). L’Ether et le Jour (20) naquirent de la Nuit, qui les conçut en s’unissant d’amour avec l’Erèbe. La Terre enfanta d’abord Uranus couronné d’étoiles et le rendit son égal en grandeur afin qu’il la couvrît tout entière et qu’elle offrît aux bienheureux immortels une demeure toujours tranquille ; elle créa les hautes montagnes, les gracieuses retraites des nymphes divines qui habitent les monts aux gorges profondes. Bientôt, sans goûter les charmes du plaisir, elle engendra Pontus, la stérile mer aux flots bouillonnans ; puis, s’unissant avec Uranus, elle fit naître l’Océan aux gouffres immenses, Céus (21), Créus, Hypérion, Japet, Théa, Thémis, Rhéa, Mnémosyne, Phébé à la couronne d’or et l’aimable Téthys. Le dernier et le plus terrible de ses enfans, l’astucieux Saturne, devint l’ennemi du florissant auteur de ses jours. La Terre enfanta aussi les Cyclopes (22) au cœur superbe, Brontès, Stéropès et l’intrépide Argès, qui remirent son tonnerre à Jupiter et lui forgèrent sa foudre : tous les trois ressemblaient aux autres dieux, seulement ils n’avaient qu’un œil au milieu du front et reçurent le surnom de Cyclopes, parce que cet œil présentait une forme circulaire. Dans tous les travaux éclataient leur force et leur puissance.

La Terre et Uranus eurent encore trois fils grands et vigoureux (23), funestes à nommer, Cottus, Briarée et Gygès, race orgueilleuse et terrible ! Cent bras invincibles s’élançaient de leurs épaules et cinquante têtes attachées à leurs dos s’allongeaient au-dessus de leurs membres robustes. Leur force était immense ; infatigable, proportionnée à leur haute stature. Ces enfans, les plus redoutables de tous ceux qu’engendrèrent la Terre et Uranus, devinrent dès le commencement odieux à leur père. A mesure qu’ils naissaient, loin de leur laisser la lumière du jour, Uranus les cachait dans les