Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

geait en courant, semblable à un homme qui précipite sa fuite tout frissonnant de terreur ; sur ses pas s’élançaient les monstres insaisissables et funestes à nommer, les Gorgones, impatientes de l’atteindre. Dans leur élan impétueux, l’acier pâle du bouclier retentissait d’un bruit aigu et perçant. À leurs ceintures pendaient deux dragons qui courbaient leurs têtes, dardaient leurs langues, entre-choquaient leurs dents avec fureur et lançaient de farouches regards. Sur les épouvantables têtes de ces Gorgones planait une grande terreur. Là combattaient deux peuples couverts de leurs belliqueuses armes, les uns cherchant à repousser la mort loin de leur cité et de leur famille, les autres avides de meurtre et de ravage. Plusieurs guerriers étaient déjà tombés, sans vie ; un plus grand nombre soutenait le choc des combats. Du haut des tours magnifiques, les femmes poussaient des clameurs aiguës, se meurtrissaient les joues et semblaient vivantes, grâce au talent de l’illustre Vulcain. Les hommes qui avaient atteint la vieillesse, rassemblés hors des portes, élevaient leurs mains vers les bienheureux immortels et tremblaient pour leurs fils. Ceux-ci combattaient sans relâche et derrière eux les noires Destinées (35), entre-choquant leurs dents éclatantes de blancheur, ces déesses à l’œil farouche, hideuses, ensanglantées, invincibles, se disputaient les guerriers couchés sur l’arène. Toutes, altérées d’un sang noir, étendaient leurs larges ongles sur le premier soldat qui tombait mort ou récemment blessé, et les âmes des victimes étaient précipitées dans la demeure de Pluton, dans le froid Tartare. À peine rassasiées de sang humain, elles rejetaient derrière elles les cadavres et retournaient à grands pas au milieu du tumulte et du carnage. Là paraissaient Clotho (36), Lachésis, et plus bas Atropos qui sans être une grande déesse, était plus puissante et plus âgée que ses sœurs. Toutes les trois, acharnées sur le même guerrier, se lançaient mutuellement d’horribles regards, et, dans leur fureur, entrelaçaient leurs ongles et leurs mains audacieuses. À leurs côtés se tenait la Tristesse (37) désolée, horrible, pâle, desséchée, consumée par la faim, chancelant sur ses épais genoux. De ses mains s’allongeaient des ongles démesurés ; une impure émanation s’échappait de ses narines et le sang coulait de ses joues sur la terre. Debout, elle grinçait des dents avec un bruit terrible et ses épaules étaient couvertes des tourbillons d’une poussière humide de larmes.

Auprès s’élevait une cité munie de superbes tours et de sept portes d’or attachées à leurs linteaux. Les habitans s’y livraient aux plaisirs et à la danse (38). Sur un char aux belles roues ils conduisaient une jeune vierge à son époux et de toutes parts retentissaient les chants d’hyménée (39). On voyait au loin se répandre la clarté des flambeaux étincelans dans la main des esclaves. Florissantes de beauté, des femmes précédaient le cortége et des groupes joyeux les accompagnaient en dansant. Des chanteurs mariaient aux chalumeaux sonores leur voix légère et flexible, qui perçait les échos d’alentour, et un chœur gracieux voltigeait, guidé par les sons de la lyre. D’un autre côté les jeunes garçons se divertissaient aux accords de la flûte ; les uns goûtaient les plaisirs du chant et de la danse ; les autres riaient en contemplant ces jeux et chacun s’avançait précédé d’un musicien habile. Enfin, la joie, la danse et les amusemens animaient la ville tout entière. Devant les remparts des écuyers couraient montés sur leurs chevaux. Des laboureurs fendaient le sein d’une terre fertile, en relevant leurs tuniques. Dans un champ couvert de blés, des ouvriers moissonnaient les tiges hérissées de pointes aiguës et chargées de ces épis, don précieux de Cérés, tandis que leurs compagnons les liaient en javelles et remplissaient l’aire de leurs monceaux. Ailleurs, ceux-ci, armés de la serpe, récoltaient les fruits de la vigne ; ceux-là, recevant de la main des vendangeurs les grappes blanches ou noires cueillies sur les grands ceps aux feuilles épaisses et aux rameaux d’argent, les entassaient au fond des corbeilles que d’autres emportaient. Non loin de là, rangés avec ordre et figurés en or, des plants nombreux, chefs-d’œuvre de l’industrieux Vulcain, s’élevaient couverts de pampres mobiles, soutenus par des échalas d’argent et chargés de grappes qui semblaient noircir. Les uns foulaient le raisin, les autres goûtaient le vin nouveau. On voyait encore des athlètes s’exercer à la lutte et au pugilat. Quelques chasseurs poursuivaient des lièvres agiles, et deux chiens à la dent acérée couraient en avant, impatiens de saisir ces animaux qui cherchaient à leur échapper. Près de cette chasse, des écuyers se disputaient le prix avec une ardente