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que je marche avec franchise dans les voies de la vertu, afin qu’en descendant au tombeau, je lègue à mes fils une gloire sans tache, un nom que rien n’ait avili.

Il est des hommes que dévore la soif de l’or, d’autres qui convoitent d’immenses héritages : pour moi, jusqu’à ce que la terre engloutisse ma dépouille mortelle, je borne mon ambition à plaire à mes concitoyens, à louer ce qui est digne de louanges et à blâmer ce qui est digne de censure. Tel que l’arbuste, nourri par la rosée bienfaisante du ciel, élève dans les airs sa cime verdoyante, ainsi la vertu s’accroît par les justes éloges du sage.

Combien la possession d’amis fidèles est un trésor précieux ! La gloire que nous ont méritée nos travaux acquiert un nouveau lustre par leurs suffrages, et leur cœur n’a pas de plus doux plaisir que de la publier au loin par leurs bienveillans témoignages. Je ne peux, ô Mégas ! le rappeler à la vie : jamais un aussi fol espoir ne saurait s’accomplir. Mais je puis par mes chants dresser à la famille et à la tribu des Chariades un monument aussi durable que le marbre en publiant ta victoire et celle de ton fils à la double course du stade. Quel plaisir je goûte à élever mes hymnes à la hauteur de vos travaux ! Les charmes de la poésie font oublier aux athlètes les plus rudes fatigues ; aussi l’usage de chanter ainsi leurs triomphes était-il déjà consacré chez les peuples longtemps avant les combats d’Adraste avec les enfans de Cadmus.

IX.

À CHROMIUS, D’ETNA,

Vainqueur à la course des chars.

Muses, quittez Sicyone et les sacrés parvis d’Apollon ; volez en chœur vers la cité nouvelle d’Etna, où la maison fortunée de Chromius peut à peine contenir la foule d’étrangers qui se pressent sous ses portiques ; chantez en son honneur un hymne dont les doux accens plaisent à ce héros : son char triomphal, traîné par deux coursiers vainqueurs dans la carrière, réclame de vous un chant de victoire digne de Latone, digne de ses deux fils, éternels protecteurs des jeux qu’on célèbre à Pytho.

De tout temps les mortels furent persuadés que c’était pour eux un devoir de sauver de l’oubli les actions héroïques ; et les chants, inspirés par un dieu, furent jugés seuls capables de seconder un si juste désir. Eh bien ! que les cordes frémissantes de ma lyre, que le son mélodieux des flûtes proclament la victoire remportée par Chromius à la course des chars, dans ces jeux que jadis Adraste établit en l’honneur d’Apollon sur le rivage de l’Asopus(1). Héros que ma Muse chante en ce jour, permets que j’oublie un instant tes louanges pour rappeler l’origine de ces jeux célèbres !

Adraste régnait dans Sicyone ; là, par la pompe des fêtes, la nouveauté des combats où les jeunes athlètes déployaient la force de leurs bras et leur adresse à conduire des chars éclatans, il étendait au loin la renommée de la ville qu’il habitait. Il avait fui d’Argos pour échapper à la haine d’Amphiaraüs et à la révolte impie que cet audacieux avait excitée contre le trône et la maison de ses pères. Ainsi les enfans de Talaüs, victimes du fléau de la discorde, semblaient pour jamais avoir perdu l’empire. Mais Adraste, en héros sage et puissant, sut mettre un terme aux maux de sa famille : il unit sa sœur Ériphyle au fils d’Oïclée, à qui elle devait être si funeste, et cet hymen devint le gage assuré de la réconciliation. Dès lors les enfans de Talaüs acquièrent un nom illustre entre tous les Grecs à la blonde chevelure. Plus tard, ils conduisent contre Thèbes aux sept portes de formidables légions ; mais ces guerriers, couverts d’airain et montés sur de superbes coursiers, se mettent en marche sous les plus funestes auspices et malgré la foudre que du haut de l’Olympe lance Jupiter en courroux : ils courent donc à leur perte. À peine arrivés sur les bords de l’Ismen, ils perdent avec la vie l’espérance de revoir jamais leur patrie, et leurs corps inanimés engraissent la fumée qui, de sept bûchers ardens, s’élève dans les airs en nuages épais.

Cependant le fils de Saturne, d’un coup de cette foudre à qui rien ne peut résister, entr’ouvrant les entrailles profondes de la terre, y engloutit Amphiaraüs avec ses coursiers avant que, frappé dans sa fuite par la lance de Périclymène, il ait à rougir d’une déshonorante blessure. C’est ainsi que fuient les enfans même des dieux quand un dieu plus puissant verse la terreur dans leur âme épouvantée.

Immortel fils de Saturne, si je pouvais à force de vœux et de prières repousser au loin