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Hymnes, dit-il, ceux qui ont étudié les poëtes n’ignorent pas qu’elles sont courtes et en petit nombre ; elles cèdent, du côté de l’élégance, à celles qui sont sorties de la plume d’Homère : cependant la religion les a adoptées et n’a pas fait le même honneur au chantre d’Achille[1]. »

Diodore, le premier des Grecs, suivant Pline, qui cessa de travestir la majesté de l’histoire, primus qui desiit apud Græcos nugari, a consacré un article à Orphée, dans le dernier chapitre de son premier livre, où il traite des Grecs qui ont été dans la Haute-Égypte s’instruire des élémens des sciences ; il le place même à la tête des voyageurs les plus illustres, tels qu’Homère, Lycurgue, Solon, Platon et Pythagore[2]. Il est bien évident que si l’orateur de Rome avait raison dans le procès qu’il a intenté à Orphée, il faudrait envelopper presque tous les législateurs de l’antiquité dans le même anathème.

Je termine cette longue nomenclature, que les grands noms de Cicéron et d’Aristote rendaient nécessaire, par Diogène Laërce, l’historiographe sans génie de la plupart des beaux génies de l’antiquité. Cet écrivain, comme je l’ai déjà fait observer, ne fait point l’honneur à Orphée d’écrire sa vie ; mais du moins il en parle avec quelques détails dans son introduction. « Les Grecs, dit-il, ont été les inventeurs de la philosophie... Ceux qui en attribuent la découverte aux barbares objectent en vain qu’Orphée, Thrace d’origine, fut vraiment philosophe. Pour moi, je ne sais si l’on doit donner un pareil titre à un poëte qui a dégradé la majesté des dieux jusqu’à leur donner les passions des hommes, jusqu’à les présenter dans un état honteux de prostitution. L’opinion commune est que les Bacchantes le déchirèrent ; mais son épitaphe, qu’on voit à Dia en Macédoine, prouve qu’il fut foudroyé par Jupiter[3]. »

Il est aisé de voir que Diogène, adoptant tous les préjugés d’une vanité nationale, n’exclut Orphée de sa légende historique, n’empoisonne ses opinions, ne calomnie son théisme religieux que parce qu’il est né en Thrace et non dans le Péloponèse ; mais on peut conclure du moins des aveux de ce détracteur du sage, que ce dernier a existé, puisqu’il a écrit les dogmes de sa religion et qu’on voit son tombeau dans une ville de Macédoine.

Ce tombeau, qui probablement existait du temps de Diogène, est un monument non moins authentique que celui de l’histoire : on peut le regarder comme un brevet perpétuel d’existence ; et voilà pourquoi ceux des Pharaons qui croyaient à l’immortalité dépensèrent tant de talens d’or pour renfermer leurs augustes momies dans les pyramides. Voici l’épitaphe qu’on lisait sur le tombeau de notre philosophe : « Ici repose Orphée de Thrace, qui fut écrasé par la foudre. Les Muses prirent soin de l’ensevelir et renfermèrent sa lyre d’or avec sa cendre dans le monument qu’elles lui érigèrent[4]. »

Il me semble que cette épitaphe, en attestant qu’Orphée a vécu, atteste aussi l’odieuse malveillance de Diogène : rien n’annonce dans cette inscription funéraire que le sage ait été puni des dieux pour les avoir blasphémés. Cette mort tragique, en la supposant telle, ne serait que l’effet d’un phénomène naturel. Orphée aurait péri d’un coup de tonnerre, comme Eschyle de la chute de l’écaille d’une tortue ; et ce qui le démontre, c’est le soin que prennent les Muses de lui ériger un tombeau et de l’ensevelir avec sa lyre d’or. Assurément chez les peuples neufs, comme l’étaient les Thraces et les Macédoniens il y a plus de trente siècles, on ne s’avise pas de faire intervenir les chastes filles du ciel, comme les anciens appelaient les Muses, pour rendre des honneurs funèbres à un blasphémateur ; on ne lui érige pas un tombeau, et l’on ne prépare pas les voies à son apothéose.

Un autre monument plus durable que des tombeaux de pierre ou de marbre, que le temps détruit en silence et que les hommes en révolution renversent en un moment, est la représentation des héros, ou des grands événemens de leur vie, sur des pierres précieuses qui, soit par leur prix intrinsèque, soit par le prix d’opinion qu’y attache le fini du travail, semble défier l’influence des siècles. C’est sous ce point de vue que je parlerai de la fameuse médaille du cabinet de la Bibliothèque impériale, ayant pour titre Orpheus theologus, et qui représente ce sage célèbre au milieu des oiseaux de proie, des tigres et des lions, qu’il charme avec les sons de sa lyre. Gronovius, qui l’a fait graver dans sa grande et belle collection des Antiquités grecques et romaines, suppose, à cause du delta qui touche à l’instrument, cette médaille frappée dans l’île de Délos[5], et il en trouve l’explication dans la dix-neuvième épigramme du dixième livre de Martial.

Je passerai encore moins sous silence la célèbre cornaline du cabinet du Palais-Royal, qui représente Eurydice assise et avançant la main sur la blessure que le serpent lui a faite, pendant qu’elle cueillait des roses[6]. Cet événement est, comme l’on sait, le plus marquant de la vie du sage. On ne peut pas plus détacher le nom d’Eurydice de celui d’Orpbée, que Pylade d’Oreste, et Homère de l’immortalité que lui donne son Iliade.

  1. Pausaniæ accurata Græcæ descriptio, édition grecque et latine de Xylander, Francofurti, anno 1583.
  2. Diodori Siculi, Bibliotheca historica, græcè et latinè, edente Wesselingio. Amslolodami, 1746, in-fol. 2 vol. — t. er.
  3. Laert. Diogen. de Vitis dogmatis, et apophtegmatio eorum qui in philosophià claruerunt, græcè et latine, edente Menagio. Londini, in-fol., 1664, in proemio, p. 2.
  4. Laert. Diogen. loco citato.
  5. Thesaurus græcarum antiquitatum, edente Jacobo Gronovio, Lugd. Batavor. 1695,in-fol., t. er, au mot Orpheus.
  6. Description des pierres gravées du Cabinet du duc d’Orléans, 2 vol in-fol. Paris, 1784. La cornaline d’Eurydice est la première du second volume.