Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/52

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nations des Comates. Nous vîmes encore les Sauromates, les Gètes, les Gymnéens, les Céoryphes, les terribles Arimaspiens, nations formidables aux autres peuples et qui habitent sur les terres situées autour des marais Méotides. Mais les dieux nous opposèrent encore de grandes difficultés après que nous eûmes traversé les dernières eaux de l’abîme. Les flots sont resserrés dans des rives étroites ; ils rongent leurs bords avec de tels bruits que la forêt tout entière en résonne, jusqu’à ce qu’enfin ils se précipitent dans l’océan. Malgré tous les dangers, Argo pénétra à travers ces étroites ouvertures. Après avoir travaillé pendant neuf jours et autant de nuits, nous nous éloignâmes de toutes ces nations féroces, de la tribu des Arctiens, des Léliens cruels et des Scythes armés de lances, serviteurs bien-aimés de Mars. Nous laissâmes encore les Taures homicides, qui font à Hécate de tristes sacrifices en lui offrant des coupes pleines de sang, les Hyperboréens, les Nomades et la nation Caspienne. Quand la dixième aurore apparut apportant la lumière aux mortels, nous approchâmes des vallons de Ripée, et notre navire s’élança aussitôt à travers le courant étroit. Il tomba dans l’Océan hyperboréen, que les hommes, à cause du calme plat, appellent la mer Morte. Là nous espérions à peine éviter le plus fâcheux malheur si Ancée n’avait forcé le vaisseau à passer du côté droit du rivage en maniant habilement le gouvernail. Aidé de toutes nos forces réunies, le navire s’élança et navigua en pleine eau. Mais les héros étaient fatigués par le pénible labeur des rames au point qu’elles échappaient à leurs mains basanées ; leurs cœurs étaient attristés ; ils reposèrent sur le lit leurs têtes mouillées de sueur et ils songèrent à satisfaire leur faim. Ancée s’approcha d’eux, et leur adressant de douces paroles, il releva leur courage abattu.

Alors ceux-ci, encouragés et voyant que le fond était rempli de vase, tressèrent des cordes et, se précipitant dans la mer, lièrent le vaisseau avec ses câbles, tandis qu’Argus et Ancée, jetant une longue corde du haut de la poupe, en remirent l’extrémité aux héros, qui se mirent à marcher sur la rive en traînant le navire ; et le vaisseau les suivit en fendant les plaines humides tout près du rivage ; car il n’y avait pas dans cet instant le moindre souffle qui agitât la mer profonde, ce royaume de tous les vents ; car en cet endroit, où sont les dernières ondes de Thetyas et d’Hélice, l’immensité de la surface est toujours muette.

Lorsque s’approcha la sixième aurore apportant la lumière aux hommes, nous arrivâmes auprès d’une opulente nation, les Macrobiens, qui vivent de longues années : leur existence est de douze mille mois sans aucune souffrance ; quand approche le dernier mois, la mort leur vient dans un doux sommeil. Ils ne sont jamais inquiets de leur nourriture ou des choses dont s’occupent les hommes : ils se nourrissent d’herbes emmiellées qui se trouvent au milieu des pâturages ; ils ont pour boisson divine une rosée délicieuse comme l’ambroisie ; c’est ainsi qu’ils vivent dans une jeunesse éternelle et florissante. Une charmante sérénité brille toujours dans les yeux des fils comme des pères, leur esprit est calme et tranquille pour faire les choses justes et dire des paroles prudentes. C’est ainsi que nous traversâmes ce rivage au milieu d’un grand nombre d’hommes. Traînant toujours notre navire rapide, nous arrivâmes aux Cimmériens, qui seuls sont toujours privés de la chaleur bienfaisante du soleil : le mont Ripée et le sommet du Calpin éloignent sa lueur et leur cachent ses doux rayons en les protégeant contre les vents du midi ; les Alpes élevées leur voilent aussi le soleil couchant ; un épais brouillard pèse toujours sur eux. Nous sortîmes de là et, toujours sur nos jambes fatiguées, nous vînmes jusqu’à un âpre promontoire et un port qui manque de vent, où le fleuve Achéron, qui roule de l’or, parcourt avec de profonds tourbillonnemens cette froide contrée : son eau, semblable à de l’argent, est reçue par un noir marécage ; non loin du fleuve murmurent des arbres qui la nuit comme le jour sont chargés de fruits. Cérès, la déesse de la terre et des guérets, habite là dans des bourgs bien bâtis. Le peuple de ces contrées est une race juste entre tous les hommes ; quand ils meurent, un navire leur suffit, car leurs âmes traversent aussitôt l’Achéron, près duquel se trouvent les cités et les portes impénétrables des enfers et le peuple des songes. Lorsque nous eûmes traversé le pays de ces nations et leurs villes, toujours fatigués par le dur service que nous nous imposions, Ancée sortit du navire ; il ordonna aussitôt à ses compagnons harassés de revenir auprès de lui et les flatta parées douces paroles :