Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LES PIERRES[1].




PROOEMIUM


Voici le présent sacré que le fils de Maïa, par ordre de Jupiter, qui chasse tous les maux, apporta aux hommes, afin qu’ils eussent un secours contre leurs souffrances. Mortels, acceptez-le avec joie. Je m’adresse aux hommes prudens dont l’esprit est intègre et sait obéir aux Dieux ; car un fou ne peut jamais trouver de secours efficace dans ses maux. Le fils de Latone, ravi de ce don précieux, et la prudente Minerve conduisirent le belliqueux Hercule auprès des Immortels, dans l’Olympe neigeux. Chiron, fils de Saturne, traversa aussi l’immense Éther pour entrer dans l’Olympe, où il apprit les secrets divins de l’art de guérir. Les palais immenses de Jupiter accueillirent avec joie ces descendans illustres des Dieux. Quant à nous, exilés sur la terre, Mercure nous ordonne de vivre heureux de nos biens et sans nous abandonner à des passions méchantes. Que celui des hommes prudens qui désire descendre dans l’antre merveilleux de Mercure, où sont déposés les amas de tous les biens, rentre aussitôt dans sa maison, les deux mains pleines de ces présens inestimables qui chassent bien loin toutes les souffrances. Désormais nulle maladie ne l’attaquera dans sa maison ; il échappera toujours à la colère impuissante de ses ennemis et reviendra dans sa demeure toujours fier de la victoire. Aucun adversaire n’osera se mesurer avec lui dans les combats poudreux, et ses membres, fussent-ils robustes comme l’airain, sa force fût-elle prodigieuse, aucun rival ne luttera contre lui dans l’espoir d’obtenir la couronne du vainqueur. Je le ferai semblable à un lion terrible pour les bêtes de la montagne et semblable à un démon familier aux peuples étonnés ; je le rendrai respectable à tous les hommes et même aux rois, qui sont les élèves de Jupiter. Les tendres jeunes gens, poussés par un irrésistible désir, voudront toujours l’enlacer dans leurs bras, et la douce jeune fille, brûlant d’amour, le sollicitera aux jeux de la couche nuptiale. Lorsqu’il répandra ses prières aux pieds des immortels, elles parviendront de suite à leurs oreilles bienveillantes. Il verra devant lui s’abaisser la mer tourbillonnante. Les voleurs implacables fuiront devant lui, même quand il cheminera seul, et ses serviteurs le vénéreront comme leur père et chériront la maison de leur maître. Quand il voudra savoir, il connaîtra toutes les pensées les plus occultes que les hommes cachent dans leur esprit ; il comprendra tous les cris que jettent dans le ciel les prophètes ailés de Jupiter, les oiseaux dont les chants annoncent l’avenir. Il saura arrêter l’impétuosité du dragon qui rampe à terre, il saura rendre impuissant le dard des reptiles dangereux. Je lui apprendrai à guérir les hommes atteints de la folie ou affligés de maladies pestilentielles, à chasser les âmes des morts, qui, échappées du noir Érèbe, se plaisent à tourmenter les mortels.

Bien d’autres présens, des présens innombrables apportés pour être distribués, sont encore dans la grotte de Mercure, le prudent conseiller. Celui qui parviendra jusqu’à eux deviendra un demi-dieu. Le belliqueux meurtrier d’Argus m’engagea à les annoncer aux mortels, il m’engagea à les chanter aux hommes avec les plus doux sons de ma voix. Mais, hélas ! les hommes ne professent aucun honneur pour la prudence ; ils affectent au contraire de mépriser la science vénérable. Dès qu’ils entendent, même de loin, la vertu, cette mère des héros, ils s’enfuient d’une course précipitée. Ils ont horreur d’elle qui soutient dans le travail, ils ont horreur du travail lui-même qui soutient dans la vie. Ils n’en ont pas pour cela plus de richesses dans leurs maisons et aucun d’eux ne sait honorer les Dieux immortels. Les insensés ! ils ont éloigné des hommes et des villes la science si utile, et ils méprisent ignominieusement Mercure. Il est mort maintenant, celui qui avait commerce avec les demi-dieux. Devenu l’ennemi des hommes, il leur a donné le travail, et les hommes

  1. Les pierres, peri lithon, sont des pièces de vers dans lesquelles Orphée chante tour à tour la nature et les propriétés des différentes pierres. Comme détail de médecine et des croyances des anciens, ces énumérations peu gracieuses peuvent offrir quelque intérêt.