Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/8

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Cette dernière religion, aidée par le climat, par l’exaltation naturelle aux Grecs, par l’ignorance, qui voyait dans chaque phénomène une apparition, le jeu d’une divinité, se reproduit tout entière dans les œuvres des poètes. On entrevoit bien parfois comme un souvenir lointain de la civilisation asiatique ; les traditions de cet âge antérieur se produisent vaguement dans quelques génies primitifs, mais elles disparaissent promptement ; elles sont étouffées par cette végétation luxuriante des images, cette exubérance gracieuse de la forme ; le mouvement des esprits se livre à sa tendance naturelle : la civilisation devient spontanée, aimable, indépendante des autres nations. Ils ont bien, il est vrai, dans le principe et d’après leur propre témoignage, appris des Phéniciens l’art de l’écriture ; ils ont emprunté aux Égyptiens et à d’autres nations de l’Asie les premiers élémens de l’architecture et des mathématiques, beaucoup d’idées philosophiques et d’arts nécessaires à la vie ; ils ont d’ailleurs des héros d’une existence problématique qui leur sont communs, des traditions à peine modifiées qui établissent la parenté des deux peuples ; mais ce ne sont que des traces fugitives et éparses effacées par le temps, peut-être aussi par l’orgueil national, des souvenirs à moitié éteints que l’intelligence seule des philosophes modernes a pu rallumer pour éclairer la route des recherches philologiques ; encore ne peut-on en tirer qu’une induction vague et générale : c’est une preuve assez indécise de l’origine commune des peuples ; c’est le berceau du développement de l’esprit humain. Mais s’ils ont appris des étrangers, s’ils leur ont emprunté, ils ont bien vite appliqué toute leur industrie à l’amélioration et au perfectionnement : peuple imitateur et surtout spirituel, ils ont saisi en toutes choses la surface brillante ; ils ont fait de toutes les notions isolées un ensemble complet ; ils ont apposé à leur œuvre un tel cachet de personnalité qu’à première vue, au lieu d’admirer la réalité de leurs conquêtes, on s’éprend d’amour pour une civilisation qui semblé leur appartenir tout entière.

Nous devons dire aussi que la vanité nationale ne joua pas seule un rôle actif dans ce travestissement des premières idées, dans ce déguisement de l’origine : l’ignorance et l’erreur ont pu y être pour beaucoup. Les vestiges des traditions asiatiques se sont glissés dans la société grecque ; les arts et les sciences les ont adoptés, mais à leur insu. Habitués à voir ces étrangères vêtues à leur façon, ils les ont laissées se mêler à eux ; comme ces hommes d’une nation éloignée, qu’on accueille d’abord avec une généreuse hospitalité et qui plus tard mêlent leur sang et leurs idées au sang et aux idées de leurs hôtes. Une race nouvelle reçoit le baptême de la vie ; son teint, son accent, trahissent encore une origine différente ; mais nul ne songe à la lui reprocher ; elle a acquis des temps et des événemens le droit de cité et de fraternité. C’est ce qui est arrivé aux Grecs. Les monumens de l’antiquité orientale la plus reculée leur étaient pour la plupart inconnus ; il vint une époque où ils en découvrirent avec surprise quelques restes : leur joie égala leur étonnement ; la vivacité de leur imagination s’en empara ; et ce fut un malheur pour eux, car cette origine asiatique, qui leur apparaissait comme une lueur subite sans qu’ils pussent bien s’en rendre compte, les éblouit entièrement. Ils perdirent de vue l’harmonie de leur civilisation, représentée par leurs mœurs et leur philosophie. Ceux même d’entre eux qui avaient étudié l’Orient, qui en avaient aspiré quelques idées, quelques croyances confuses et environnées de l’obscurité des mythes, ignoraient la généalogie de ces idées, souvent enfermées dans un mot. Ces mots (fata) étaient mystérieux pour les anciens : individus à longue vie, qui voyageaient de siècle en siècle et souvent d’un bout du monde à l’autre, ils portaient en eux tout le secret d’une religion ; les hommes les plus avancés, ceux qui sur la foi du passé prophétisaient l’avenir, Platon lui-même, ne pouvaient remonter jusqu’au véritable point de départ de l’espèce humaine, y retrouver à sa source le principe et l’unité de toute société et de là suivre les ramifications multiples de l’arbre du genre humain. Nous seuls, grâce à l’étendue de nos connaissances ethnologiques et philologiques, pouvons suivre les traces de ces origines asiatiques, en marquer le passage dans les traditions et la civilisation des Grecs, les rapprocher les unes des autres, les réunir, les comparer, reconnaître leur