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FEUILLETON DU 7 OCTOBRE 1916

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LA ROSE DE JÉRICHO
par
FANNY CLAR

« En cherchant bien, dit Clamageran, dans son livre sur l’Algérie, on découvre dans les coins les plus arides une plante naine d’une couleur grisâtre, qui a la forme d’une main à demi fermée, Pour les Arabes, c’est la main de Fathma ; pour les chrétiens, la rose de Jéricho ; pour les botanistes l’Anastatica hierveunthica. Elle n’a nullement la grâce d’une rose ; elle est plutôt bizarre que jolie et se rattache à la famille des crucifères. Sa célébrité lui vient d’une propriété singulière qu’elle possède ; elle se dessèche, semble morte. Puis, après un certain temps, si on la cueille et qu’on la mette dans l’eau ou si le vent l’emporte sur un sol légèrement humide, elle revit et ses fleurs s’épanouissent de nouveau. Les anachorètes et les pèlerins qui la rencontrèrent dans les déserts de Syrie, de Palestine, et d’Égypte en firent le symbole de la Résurrection. »

Ce fut en étudiant un spécimen de Polyommatus dispar que Pierre Boissonou, à l’âge de quarante-deux ans, s’aperçut qu’il était laid.

La révélation vint d’un rayon de soleil qui se heurta au banal miroir accroché dans l’angle d’une petite chambre dont, par la porte ouverte, on apercevait le mobilier très simple. Depuis des années Pierre Boissonou usait de ce miroir pour se raser, sans que jamais ses traits reflétés aient retenu son attention.

Obéissant à l’étrange appel, le naturaliste s’approcha du miroir, enchanté sans se l’avouer, d’abandonner sa table de travail. Les ailes magnifiques du papillon qu’il venait de recevoir du Brésil ne parvenaient pas, en cet après-midi, à fixer son attention.

Devant le miroir, illuminé d’éblouissante clarté, son image apparaissait à Pierre avec une brutale vérité. Étonné, il contempla des paupières rougies par de longues études minutieuses, une bouche épaisse, une barbe roussâtre qui s’argentait, un nez qui tenait trop de place dans un long visage irrégulier. Assez modeste pour ne pas surprendre le charme de sensibilité dont ses yeux gris gardaient le rayonnement, il sentit seulement la disgrâce d’un visage vieilli, qui fut sans harmonie.

Par une corrélation spontanée, comme il s’en établit en nous, à notre insu, la solitude de sa vie lui devint sensible, douloureusement. Jusqu’à ce jour, il en avait peu souffert.

Pierre revint dans le cabinet de travail. Du regard, il interrogea autour de lui les choses familières. Au cinquième de la rue de Douai, les fenêtres de son logis ouvraient sur le jardin d’un couvent, d’où ne montaient que des chants d’oiseaux, des murmures d’orgue, les sonneries des offices. Parfois, aux heures de récréations, s’y mêlaient les cris d’enfants d’un pensionnat proche. Du haut en bas de deux immenses bibliothèques, les livres reposaient vêtus de reliures sobres. Les collections d’insectes, patiemment réunies au