Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/100

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que ce n’est pas au marquis de Mora que mademoiselle de Lespinasse adressa les poulets inclus dans votre bouquin…

— C’est ma foi vrai ! J’allais l’oublier. Voyez où mène l’enthousiasme ! Il me faut donc ajouter un troisième chapitre à ce roman historique. Un soir de printemps, Julie de Lespinasse avait rencontré le marquis de Mora, et ç’avait été le coup de foudre. Un soir d’automne, elle rencontra le comte de Guibert, et ce fut le coup de foudre encore. Ne lui en veuillez pas, mademoiselle Alice : il y a des âmes de femmes, vous le saurez plus tard, que le Seigneur n’a point pourvues de paratonnerre. Elles n’en sont pas à blâmer, mais à plaindre, – car on n’est pas foudroyé plusieurs fois impunément. La pauvre Julie en fit une lamentable expérience. Partagée entre deux passions antagonistes, toutes deux véhémentes et tyranniques, déchirée d’angoisses, de remords, de désespoirs, elle passa toute sa vie dans les larmes et les sanglots, et souffrit tant, tant et tant qu’au bout du compte elle en mourut.

— Tout ça, – conclut madame Terrien, – parce que, comme vous disiez tantôt, ils avaient commencé par coucher ensemble. En s’épargnant cette formalité, mademoiselle de Lespinasse, au lieu de trois amants, aurait eu trois amis. Elle les eût aimés simultanément sans encombre, et tout se fût bien passé.

— Oui, ma grande amie ; sauf que c’était impossible : parce que la tendresse humaine ne s’exprime clairement que par un seul geste, – celui d’ouvrir et de refermer les bras.