Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/135

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de toute la prose de la vie, et libres d’errer une nuit entière en pleine poésie, – une nuit entière !… plus que Dieu n’a jamais donné, qui sait ! à Shakespeare même !…

— Pourquoi Shakespeare ?

— Dante ou Ronsard, si vous préférez. N’importe lequel des grands rêveurs morts de n’avoir pas pu vivre un seul de leurs rêves. À nous, qui n’avons rien rêvé, cette nuit-ci est offerte…

Carmen de Retz, dédaigneuse, le regarda de ses profonds yeux bleus.

— Vous n’avez rien rêvé ?

Il songea, tandis qu’un rayon de lune argentait ses cheveux.

— Si ! peut-être… mais des rêves que vous ne comprendriez point… des rêves simples et tendres, des rêves sans bruit, sans éclat, sans gloire…

— Dites ?

Il dit très bas, parlant vers les étoiles qui commençaient à diamanter les nuages.

— J’ai rêvé… oh ! le rêve classique de tous les amants… j’ai rêvé… j’ai rêvé d’une maison toute petite, au flanc d’un coteau baigné par un fleuve… un verger derrière la maison ; de grands murs pour exiler le reste de la terre ; un cimetière tout près pour parler d’éternité. Et dans la maison, une fée… J’ai offert ma vie pour huit jours de ce rêve-là… Et le Destin n’a pas accepté…

Le cœur en déroute, mademoiselle Dax écoute et frissonne. Fougères, prompt, se redresse, quitte la