Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/268

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les réverbères, enlisés de nuages stagnants, apparaissaient, pareils à d’énormes lanternes chinoises, rondes, huileuses, enfumées, presque obscures…

Mademoiselle Dax marcha d’abord sur le trottoir. Elle allait vite, d’un pas brusque et fiévreux qui pourtant hésitait par intervalles. Elle allait à l’aveugle, les yeux obstinément fixés vers la chaussée large et bruineuse, et, par delà la chaussée, vers le quai aux arbres confus, et par delà le quai, vers le vide profond où était le Rhône invisible…

Or, elle avançait ainsi, obliquement, attirée peu à peu, mais résistant encore, quand, près d’un réverbère, elle s’arrêta soudain, les prunelles dilatées, les dents claquantes, – hallucinée…

Dans l’avenue, déserte comme un cimetière, une apparition venait de surgir : l’apparition d’une Victoria à deux chevaux, d’une Victoria insolente et luxueuse, qui passait à travers la nuit sinistre, comme elle eût passé dans la douceur d’un soir d’été… L’attelage piaffait orgueilleusement, et pourtant, le choc des sabots contre le pavé ne s’entendait pas… Mademoiselle Dax eut froid jusqu’à l’intérieur des os : sur les coussins de cuir bleu, une femme était assise, une femme très fardée, trop rousse, trop blanche et trop rose, – une prostituée, – que mademoiselle Dax avait vue déjà, que mademoiselle Dax reconnaissait, et qui souriait à mademoiselle Dax d’un mauvais sourire railleur et lubrique… La victoria soudain disparut, engloutie mystérieusement dans la nuit. Et mademoiselle Dax, saisie d’une épouvante horrible, courut, enjamba en