Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/87

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du Parc, le leitmotiv de mademoiselle Dax, et ce leitmotiv réitéré quarante fois par jour, finissait par s’enfoncer dans l’amour-propre comme des pointes de feu dans la peau.

Mais ici, la voix de Fougères n’humiliait pas. Elle était comme toujours, câline et prenante. Mademoiselle Dax sentit très bien qu’il devait vraiment s’agir de choses trop complexes, inaccessibles aux cervelles des petites filles. Et comme Fougères expliquait tout de même, complaisant, elle écouta de son mieux, attentive, appliquée, reconnaissante.

— … D’abord, c’est très sale. Figurez-vous une ville sans trottoirs et sans pavés, sans égouts, sans voirie, et presque sans réverbères. Des rues tortueuses, étroites, encombrées d’ordures et tapissées d’une couche de boue épaisse d’un pied… Ça vous chante ?

Elle arqua ses sourcils, demi-incrédule.

— … Ensuite, c’est délabré. Les maisons de pierres sont toutes lézardées, et le salpêtre leur fait un manteau terne. Les maisons de bois, affaissées, déjetées, disloquées, ont des airs de maisons saoules, incapables de se tenir debout. Partout il y a des décombres, des ruines, des fondrières. C’est comme un cimetière de ville. Et pour surcroît de mélancolie, on rencontre à chaque pas de petits jardins en bordure sur les rues, lesquels jardins sont des nécropoles de familles. Les Turcs aiment à vivre ainsi tout près de leurs morts…

— Quelle horreur !

— Si vous voulez. Et la ville est pareille d’un bout à l’autre. Point de boulevards, point d’avenues, point