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caractéristiques du peuple, les états d’âme collectifs faits d’espoirs, d’amours et de joies qu’on aime tant dans les vieilles chansons. Bien souvent, ces chansons sont vraiment œuvres collectives. Il en est, dont on ne connut jamais le ou les auteurs. Cet anonymat est curieux. Ainsi, un bon bougre soupire ou sanglote et, pour se consoler, rime tant bien que mal sa peine ou son amour ; et voilà que sa chanson passe de bouche en bouche sans qu’on sache ni d’où ni de qui elle vient. Mais si, au lieu de l’homme saignant sa vie, c’est un autre, ivre de joie, vibrant d’espoir qui clame son bonheur devant une bouteille de bon vin, c’est encore une chanson qui se répand, s’enrichissant de termes nouveaux, d’images drôles et familières et d’un accent de terroir qui s’accordent et s’harmonisent aux rythmes consacrés, se transmettant aussi de bourg en bourg, de village en village, de ville en ville, de cité en cité, de province en province et devenant une chanson nationale se transmettant de siècle en siècle.

C’est bien la chanson populaire simple, rudimentaire, parfois puérile, souvent charmante, œuvre de tous et de personne, ne se transformant que pour mieux s’adapter, qui est venue jusqu’à nous et qu’on se plaît à entendre et à chanter soi-même. Est-ce un chef-d’œuvre ? Quelquefois. Par l’expression du sentiment, la chanson touche du coup la pure beauté littéraire.

C’est ce qui, sans doute, la faisait juger ainsi par Montaigne quand il écrivit : « La poésie populaire et purement naturelle a des naïvetés et grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poésie parfaite selon l’art : comme il se voit ès villanelles de Gascogne aux chansons qu’on nous rapporte des nations qui n’ont connaissance d’aucune science, ni même d’écriture. »

Ainsi, en marge même de toute littérature, une chanson populaire peut atteindre au chef-d’œuvre par sa grâce, sa naïveté, sa fraîcheur, sa franchise.

C’est surtout du xve siècle que nous viennent les chansons les plus accessibles à la compréhension actuelle de ce qu’on désigne, même parmi les amateurs le belles-lettres, sous le nom de gros ou grand public. Il est de fait que la période antérieure au xve siècle nous fournit, certes, de belles chansons, mais il faudrait plus de texte à l’explication et plus d’annotations pour les rendre intelligibles qu’il ne faudrait de place pour les publier.

D’ailleurs, c’est au xve siècle seulement que, non seulement en France, mais dans plusieurs pays de l’Europe, on vit la plus riche éclosion de la poésie populaire. Cette poésie, dit Gaston Paris, dans la préface à un recueil de chansons populaires, se distingue nettement de l’époque précédente. Elle est, ajoute-t-il, restée la base et le modèle de la poésie populaire qui a suivi et de celle qui se produit encore. Par une réaction remarquable, elle s’est dégagée à l’époque où la littérature proprement dite est la plus éloignée de la nature, de la simplicité et du sentiment vrai.

Par le sujet ou par l’expression, les chansons du xve siècle se rattachent bien à la tradition poétique antérieure. Bien que d’inspiration populaire, la forme de certaines d’entre ces chansons révèlent des poètes habiles et délicats dont les noms sont restés ignorés de nous. Toutes ces chansons du xve siècle contiennent, mieux que celles des époques suivantes, une véritable poésie.en même temps qu’une image fidèle de ce siècle et de ses mœurs. Il faudrait, pour s’en convaincre, ayoir sous les yeux les chansons d’amour et les chansons satiriques ou historiques, ainsi que les pastourelles et les rondes dans leur variété. En voici une qui se chante sur un air qui est du xve siècle :

L’AMOUR DE MOI S’Y EST ENCLOSE

L’amour de moi s’y est enclose
Dedans un joli jardinet
Où croit la rose et le muguet
Et aussi fait la passerose ;

Ce jardin est bel et plaisant ;
Il est garni de toutes fleurs ;
On y prend son ébattement
Autant la nuit comme le jour ;

Hélas ! il n’est si douce chose
Que de ce doux rossignolet
Qui chante au soir, au matinet ;
Quand il est las il se repose.

Je la vis, l’autre jour, cueillir
La violette en un vert pré,
La plus belle qu’onques je vis
Et la plus plaisante à mon gré.

Je la regardai une pose :
Elle était blanche comme lait
Et douce comme un agnelet,
Vermeillette comme une rose.

Dans le même genre mignard, voici une autre chanson dont le premier vers fait aussi le titre :

VRAI DIEU, QUI M’Y CONFORTERA

Vrai Dieu, qui m’y confortera
Quand ce faux jaloux me tiendra
En sa chambre seule enfermée ?

Mon père m’a donné un vieillard
Qui, tout le jour, crie : « Hélas ! »
Et dort au long de la nuitée.

Il me faut un vert galant
Qui fût de l’âge de trente ans
Et qui dormit la matinée.

Rossignolet du bois plaisant,
Pourquoi me vas ainsi chantant,
Puisqu’au vieillard suis mariée ?

Ami, tu sois le bienvenu :
Longtemps ah ! que t’ai attendu
Au joli bois sous la ramée.

Toutes ces chansons du xve siècle ont le même charme et l’on ne sait vraiment laquelle choisir pour en donner échantillon.

Je me garde bien de citer celles qui ont une tendance historique ou guerrière, mais dont l’originalité fait la seule valeur en dehors de la forme qui est bien celle de la chanson facile à retenir malgré son nombre considérable de couplets. Ce sont des sortes de complaintes ou plutôt les complaintes que nous connaissons semblent être une mauvaise imitation de ces chansons. Elles étaient un moyen de répandre la gloire de héros légendaires ou inconnus et de raconter les hauts faits de seigneurs et autres batailleurs, des époques où la presse n’existait pas, pour entretenir les peuples dans le mensonge et l’admiration de ce qu’ils n’avaient ni vu ni connu. Les trouvères et les troubadours étaient les auteurs et les interprètes de ces chansons populaires.

Mais la vraie chanson du xve siècle est heureusement venue, souvent très courte, mais combien jolie, telle celle-ci encore :

VOICI LA DOUCE NUIT DE MAI

Voici la douce nuit de mai
Que l’on se doit aller jouer,
Et point ne se doit-on coucher :
La nuit bien courte trouverai.