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pour le collectivisme, il a une valeur semblable pour la bourgeoisie qui peut invoquer la paresse naturelle des travailleurs pour légitimer tous ses méfaits. Le Capital ne manque du reste pas, chaque fois que le prolétariat réclame une augmentation de salaires ou une diminution d’heures de travail, de déclarer que le travailleur ne saurait que faire de ces améliorations, sinon d’en profiter pour boire plus que ne le permet la bienséance. Mais ne nous arrêtons pas à cette ridicule excuse intéressée de la bourgeoisie et poursuivons l’examen des conséquences du salariat et de l’argument invoqué par les collectivistes en sa faveur. Supposons que « le travailleur » refuse de payer son tribut travail à la société collectiviste et qu’en mesure de représailles cette société, en lui fermant les magasins de consommation, refuse de le nourrir ; qu’adviendra-t-il ? Il ne reste plus à ce « réfractaire », pour s’assurer la pitance, d’autre alternative que d’avoir recours à des moyens illégaux, et en particulier : le vol. Nous poussons les choses à l’extrême, et supposons un individu foncièrement paresseux, afin de ne pas affaiblir la thèse soutenue par nos adversaires. Nous ne voulons même pas envisager le cas où un travailleur refuserait — à tort ou à raison — de se soumettre à la loi d’airain de l’État-Patron.

Le vol ? Ce sont tous les rouages des sociétés modernes qui revivent. Le vol ? C’est la loi, c’est la magistrature, c’est la police, c’est la prison, etc., etc,… et, une fois de plus, il ne nous reste plus qu’à demander anxieusement : qu’y aura-t-il de changé ? En outre, il faudrait démontrer que toute cette organisation du travail qui exigerait l’enrôlement administratif de millions de fonctionnaires arrachés au labeur productif, n’exigerait pas une dépense plus élevée pour la collectivité que le soutien de quelques milliers « de paresseux » systématiquement décidés à ne rien produire. Et le paresseux n’est-il pas inventé simplement pour les besoins d’une mauvaise cause ? Je ne crois pas pouvoirs mieux faire pour réduire à néant l’argumentation collectiviste, que de citer à ce sujet notre vieux P. Kropotkine.

« Quant à la fainéantise de l’immense majorité des travailleurs, il n’y a que des économistes et des philanthropes pour discourir la-dessus. Parlez-en à un industriel intelligent, et il vous dira que si les travailleurs se mettaient seulement dans la tête d’être fainéants, il n’y aurait qu’à fermer les usines ; car aucune mesure de sévérité, aucun système d’espionnage n’y pourraient rien. »

« Ainsi quand on parle de fainéantise possible, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une minorité, d’une infime minorité dans la société. Et avant de légiférer contre cette minorité, ne serait-il pas urgent d’en connaître l’origine. »

« Très souvent le paresseux n’est qu’un homme auquel il répugne de faire, toute sa vie, la dix-huitième partie d’une épingle, ou la centième partie d’une montre, tandis qu’il se sent une exubérance d’énergie qu’il voudrait dépenser ailleurs. Souvent encore, c’est un révolté qui ne peut admettre l’idée que toute sa vie il restera cloué à son établi, travaillant pour procurer mille jouissances à son patron, tandis qu’il se sait beaucoup moins bête que lui et qu’il n’a d’autres torts que celui d’être né dans un taudis au lieu de venir au monde dans un château. »

« Enfin, bon nombre de « paresseux » ne connaissent pas le métier par lequel ils sont forcés de gagner leur vie. Au contraire, celui qui, dès sa jeunesse, a appris à bien toucher du piano, à bien manier le rabot, le ciseau, le pinceau ou la lime, de manière à sentir que ce qu’il fait est beau, n’abandonnera jamais le piano, le ciseau ou la lime. Il trouvera un plaisir dans son travail, qui ne le fatiguera pas, tant qu’il ne sera pas surmené. » Et après cette démonstration claire et pré-

cise, Kropotkine conclut : « Supprimez seulement les causes qui font le paresseux, et croyez qu’il ne restera guère d’individus haïssant réellement le travail, et surtout le travail volontaire, que besoin point ne sera d’un arsenal de lois pour statuer sur leur compte. »

Ainsi s’effondre, avant la lettre pourrait-on dire, le collectivisme. « Pour transformer la propriété privée et morcelée, objet du travail individuel, en propriété capitaliste, il a naturellement fallu plus de temps, d’efforts et de peines que n’en exigera la transformation en propriété sociale de la propriété capitaliste qui, de fait, repose déjà sur un mode de production collectif » déclare K. Marx dans son Capital. Cette affirmation est toute gratuite. En tous cas, on connaît les difficultés de la bataille sociale ; aucun travailleur n’ignore au prix de quels sacrifices il peut obtenir certains avantages dans la lutte quotidienne contre le patronat, et il importe peu de savoir le temps qui doit s’écouler pour arriver à détruire un régime qui a à son actif un tel bilan de crimes sociaux. Ce qui importe, c’est de ne pas travailler en vain ; c’est de ne pas livrer inutilement à une expérience vouée à un échec fatal tout l’avenir de la Révolution.

Avoir travaillé durant des siècles et des siècles à la libération de l’humanité, avoir combattu pendant des générations une forme de société pour voir apparaître sur ses ruines, une autre organisation sociale présentant les mêmes tares, et engendrant les mêmes erreurs, ce serait admettre que tout est un éternel recommencement, que le bonheur de l’humanité est une utopie.

Et pour terminer, empruntons une dernière fois cette conclusion « Au Salariat collectiviste » de P. Kropotkine : « Il n’en sera pas ainsi. Car le jour où les vieilles institutions crouleront sous la hache des prolétaires, on entendra des voix qui crieront : « Le pain, le gîte et l’aisance pour tous ! »

Et ces voix seront écoutées, le peuple dira : « Commençons à satisfaire la soif de vie, de gaîté, de liberté que nous n’avons jamais étanchées. Et quand nous aurons tous goûté à ce bonheur, nous nous mettrons à l’œuvre : démolition des derniers vestiges du régime bourgeois, de sa morale, puisée dans les livres de comptabilité, de sa philosophie de « droit et avoir », de ses institutions du tien et du mien. En démolissant, nous édifierons, comme disait Proudhon ; nous édifierons au nom du Communisme et de l’Anarchie. » — J. Chazoff.


COLLISION. n. f. Au sens propre : rencontre brutale de deux corps ; se dit également de la rencontre de deux navires ou de deux trains de fer. « Cette collision de chemin de fer a eu des conséquences tragiques ». Socialement et politiquement, c’est surtout au sens figuré que ce terme est employé. Il signifie un choc entre deux parties adverses. Les collisions sont inévitables dans les sociétés modernes, agitées par divers courants et diverses tendances. Lorsqu’une situation est devenue trop tendue, les collisions renaissent nécessairement et ne peuvent être évitées. Elles empruntent parfois un caractère sanglant, surtout dans la lutte de la liberté contre le despotisme. Les collisions entre la troupe au service du Capital et la classe ouvrière ont souvent jonché le terrain de cadavres, et il en sera ainsi tant que la liberté sera étranglée et qu’une portion de la collectivité sera soumise à l’exploitation d’une autre portion. Les collisions sont parfois la conséquence du fanatisme et de l’erreur, et nous assistons au sein même du prolétariat au spectacle navrant de certaines fractions se combattant au lieu de s’unir contre l’ennemi commun : le Capital.

Les collisions entre travailleurs naissent d’une conception erronée de certains d’entre eux, de la liberté et de la vie sociale. Ce n’est qu’au jour où aura totalement