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Comme on le voit, la condamnation était formelle, sans réplique. Aveuglé par son dogmatisme politique, Guesde ne pouvait comprendre que c’est par l’action simultanée de destruction du pouvoir bourgeois et de prise des moyens d’échange et de production que le prolétariat, toutes forces réunies, mettra fin au régime capitaliste.

Il n’en fut pas moins suivi par tous les représentants socialistes français : Jaurès, Gérault-Richard, Viviani, Deville, Rouanet et Millerand, dont la majorité devait, par la suite, faire une si brillante carrière dans le sein de la bourgeoisie, avec Guesde lui-même.

Les représentants socialistes étrangers ne furent d’ailleurs pas moins catégoriques. Nous sommes, proclament Wilhem Liebknecht, avec les « collectivistes », contre les « anarchistes ».

C’était le renouvellement des luttes de la Ier Internationale, les mêmes que celles que nous connaissons aujourd’hui.

Les délégués syndicaux français se défendaient d’assister à ce Congrès en tant qu’anarchistes. Ils n’étaient que des délégués ouvriers et rien de plus, quelles que soient, affirmaient-ils, leurs pensées personnelles.

C’étaient, parmi les plus marquants, Pelloutier, secrétaire des Bourses ; Allemane, leader du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire ; Vaillant, député de la Seine ; Pouget, rédacteur du « Père Peinard » ; Guérard, des cheminots ; Tortelier, un des précurseurs du syndicalisme. Tous se réclamaient purement et simplement de leur mandat syndical.

Ce mandat se traduisait ainsi : S’abstenir de toute discussion, de toute déclaration politiques ; sur ce point, ils étaient neutres, si bien qu’ils s’abstinrent dans le vote excluant les anarchistes proprement dit. Ils ne voulaient faire que de l’action syndicale.

La délégation française se sépara en deux parties à peu près égalés : 57 contre, 56 pour.

Furieux, les socialistes français firent claquer les portes et se retirèrent, en dénonçant comme une manœuvre de la réaction — déjà — cette indifférence des syndicats pour la conquête du pouvoir qui livrait le socialisme à l’ennemi.

Le Congrès se montra lui-même, si possible, plus intransigeant encore.

La tendance politique s’y affirma nettement… « L’action législative et parlementaire » fut considérée « comme l’un des moyens nécessaires » pour arriver « à la substitution du socialisme au régime capitaliste ». En conséquence, déclarait Wilhem Liebknecht, dans sa motion, les anarchistes seront exclus.

Ces décisions du Congrès de Londres eurent pour résultat d’accentuer la séparation des deux mouvements en France. C’était le rôle que devait jouer le IIe Congrès de l’I. S. R. en 1922.

« Tous les militants de l’action syndicale, écrivait aussitôt Pelloutier, vont exploiter l’intolérance stupide de la majorité pour élargir le fossé qui séparait déjà les syndicats des politiciens ». Il en fut ainsi jusqu’en 1906, après que les partisans de l’action politique eurent multiplié leurs assauts jusqu’au Congrès d’Amiens en 1906.

La résolution de Londres n’eut pas des effets qu’en France. Elle paralysa longtemps, et jusqu’à la guerre, l’activité de l’Internationale syndicale. C’est un chapitre qui sera étudié plus loin.



Constitution de la C. G. T. — La constitution de la Fédération des Bourses du Travail n’avait fait qu’ébaucher l’organisation nationale du syndicalisme français. C’était certes, un commencement important, mais il était évident qu’une tâche considérable restait à accomplir.

Les Bourses du Travail réalisaient bien le lien social — le plus important — entre les Syndicats d’une même localité, la Fédération réalisait bien aussi ce lien au point de vue national, mais il était évident qu’il fallait aussi réaliser la liaison nationale entre les Syndicats d’un même métier.

Les Guesdistes avaient tenté de le faire avec leur Fédération des Syndicats, tandis, que par contre, ils n’avaient pas, par méconnaissance ou dogmatisme étroit, cherché à réaliser le lien social.

Il est fort probable que l’absence de ce lien qui favorisait l’action du Parti ou des Partis socialistes fut volontaire parce que les Guesdistes sentaient déjà que le syndicalisme, ainsi organisé socialement, ne tarderait pas à s’émanciper de leur tutelle. Il ne faut pas chercher d’autre raison à l’hostilité sans cesse accrue que les Guesdistes manifestèrent toujours à l’égard de la Fédération des Bourses du Travail, cellules de la Société de l’avenir.

Avortée dès sa constitution, la Fédération des Syndicats n’eut ni le programme sérieux, ni l’action vigoureuse capables d’attirer les travailleurs.

Ceux-ci, la sentant d’ailleurs placée sous les directives politiques, la boudèrent. Les querelles, les scissions dont le Parti socialiste fut l’objet les en détachèrent définitivement. Instinctivement, ils se rapprochèrent de la Fédération des Bourses et, y adhérant en grand nombre, lui donnèrent tout de suite une importance considérable, pendant que, sous l’influence et par le labeur acharné de Pelloutier, elles jouaient un rôle de plus en plus grand.

Ce ne fut, certes, pas l’œuvre d’un jour. Ce n’est qu’après bien des tâtonnements, des erreurs souvent graves, des incohérences forcées que, dans ces temps troublés, la Fédération des Bourses parvint à faire comprendre la neutralité politique que le Congrès d’Amiens devait proclamer comme la première condition d’Unité ; et que le mouvement ouvrier réussit à donner son organisation propre, de classe, indépendante de tous les partis.

Ce sont autant de difficultés que les militants durent vaincre, difficultés que ne comprennent pas toujours les hommes de notre époque qui ignorent, en immense majorité, comment s’est constituée la C. G. T.

Le syndicalisme actuel, dans ses organes comme dans ses idées — trop souvent inexprimées — n’est pas le résultat de l’application d’un plan, d’un système préconçu. Il est la conséquence d’une longue étude des faits sociaux, de leurs enseignements. Il résulte d’une longue et pénible évolution qui continue. Son aspect, ses caractéristiques particulières se modifient selon les nécessités du moment. Il en sera toujours ainsi parce qu’il est l’interprétation aussi exacte que possible de la vie en perpétuelle évolution. Le syndicalisme de l’an 2000 ne ressemblera pas plus à celui 1925 que celui-ci ne ressemble au mouvement de 1873. Il peut évoluer à l’infini, donner à toutes les périodes de l’histoire, satisfaction à tous les individus, quelle que soit leur philosophie. Il peut réaliser aussi bien le communisme organisé que le communisme libre associatif et momentané pour atteindre, un jour, au stade supérieur de l’Anarchie. Ceci est suffisant pour que tous les travailleurs y trouvent place et tentent dans son sein d’acquérir le maximum de bien-être et de liberté correspondant à chaque époque de l’histoire, à chaque stade de l’évolution. Le syndicalisme est un perpétuel devenir.

C’est ce que comprit Pelloutier lorsqu’il entreprit l’œuvre grandiose qui devait trouver son achèvement dans la constitution des Bourses du Travail et la constitution de la C. G. T. C’est ce qu’il précisa dans sa fameuse lettre aux anarchistes.