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circonstance particulière de son existence. Sans entrer, ici, dans le détail et sans nous arrêter trop longtemps à chacun de ces sacrements, il me paraît utile de jeter sur tous un coup d’œil d’ensemble, afin de montrer la chaîne solide et ininterrompue que, rapprochés, ils forment. Ce coup d’œil provoque une observation aussi intéressante qu’originale. Cette observation consiste à faire remarquer que, dans leur ensemble, ces sacrements s’appliquent à chacune des époques décisives de la vie et que, certains ayant un caractère régulier et fréquent, l’Église catholique, grâce aux dits sacrements, ne perd pas de vue le fidèle, le tient constamment sous sa coupe, le rappelle sans cesse à ses obligations envers Dieu, et acquiert, de la sorte, sur lui un empire qui, commençant au berceau, s’étend et se fortifie sans solution de continuité, jusqu’à la tombe. Je m’explique :

L’homme vient au monde, il a quelques jours à peine ; il est encore physiquement d’une extrême fragilité, intellectuellement dans les ténèbres et moralement dans l’inconscience. Il est donc de toutes façons incapable d’un mouvement, d’un geste, d’une parole qui soit l’indice d’une conscience ou la marque d’une volonté. Qu’à cela ne tienne : ses parents décident pour lui et, voulant en faire un catholique, ils le font baptiser. Désormais, l’enfant appartient à l’Église, et celle-ci prendra des dispositions pour ne le point lâcher. L’enfant a grandi ; il est âgé d’une douzaine d’années. Son corps a pris un développement qui ne tardera pas à le conduire à la puberté et à faire de lui un jeune adulte ; son esprit a reçu quelque culture ; sa conscience commence à discerner ce qui est bien de ce qui est mal ; ses actes témoignent d’un état moral qui n’en est encore qu’au tâtonnement, mais est en voie de se former. Il est à cette période de la vie où, sous tous les rapports, l’enfant, sans avoir totalement cessé d’exister, tend à disparaître pour faire place à l’adolescent qui commence à poindre. Il est à cette phase de l’existence où la mémoire commence à se peupler de souvenirs et d’impressions, où l’intelligence s’ouvre à la compréhension des faits, où le jugement, tenté de comparer, d’apprécier, de résoudre, hésite à le faire, et finalement s’y décide, où l’imagination devient plus fougueuse chez les uns et plus pondérée chez les autres ; où, le sang et les nerfs étant en proie aux agitations et à la fièvre de la croissance, la chair commence à ressentir l’aiguillon du désir sexuel, encore vague ; où, d’accord avec les sens qui s’éveillent, le cœur se sent agité de sentiments affectueux et tendres. L’heure est venue, pour l’Église, de frapper un grand coup, d’impressionner fortement, de bouleverser profondément cette enfance parvenue au seuil de l’adolescence et de graver dans son souvenir des empreintes durables. Cet enfant fait sa première communion ; pour la première fois, il reçoit le sacrement de l’Eucharistie. Il est préparé avec soin à cette auguste cérémonie ; il y est entraîné, les derniers jours surtout, par des apprêts de toutes sortes. Le grand jour arrive : l’Église a pris un air de fête, elle s’est ornée de ses plus belles parures ; le communiant n’a jamais été vêtu d’ajustements plus soignés ; toute sa famille est à ses côtés ; il est le centre de toutes les impressions éprouvées, de toutes les salutations et paroles échangées. Fût-il le moins imaginatif et le plus froid des enfants, il est ému et troublé ; il règne tout autour de lui un empressement inaccoutumé il vit, durant vingt-quatre heures, dans une atmosphère spéciale et ce concours de circonstances le conduit, sans qu’il sache trop pourquoi, peut-être même sans qu’il songe à se le demander, à considérer cette première Communion comme un des événements les plus marquants de son existence. J’ai connu des hommes — et surtout des femmes — qui, parvenus à un âge déjà avancé, avaient conservé un

tel souvenir de cette journée que les moindres détails s’en étaient gravés en traits indélébiles dans leur mémoire et qu’ils ne pouvaient en parler sans une vive émotion.

Mais voici que l’adulte a remplacé l’adolescent. La fillette est devenue jeune fille, le jeune garçon s’est transformé en homme ; il a, maintenant, vingt-cinq à trente ans ; il est dans toute la force de l’âge. Son tour est venu de se créer un foyer, de fonder une famille. Instant grave, heure décisive et capitale : du choix qui sera fait dépendra le bonheur ou le malheur attaché à une heureuse ou à une mauvaise union. Le choix est fait. Voici les deux époux. Il est venu, le jour qui d’eux va faire le mari et la femme ; ils ne cessent de se contempler ; leur cœur est doucement agité ; l’amour le plus vif brille dans les regards qu’ils échangent. A dater de ce jour, leur existence va changer, le sort va leur devenir commun ; appuyés l’un sur l’autre, ils communieront dans la peine comme dans la joie ; échecs et réussites, revers et succès, aisance et privations, larmes et sourires, craintes et espérances, tranquillité et agitation, entre eux tout sera commun et partagé : moins lourdes à porter seront les tristesses et doublées seront les joies. Puis, viendront les enfants et on revivra dans ces êtres chéris. — Oh ! de quels soins, ils seront l’objet ! De quel amour et de quelle sollicitude ils seront entourés ! Pourvu qu’ils soient sains, robustes, beaux, intelligents et bons ! Et les deux époux unissent leurs projets d’avenir et leurs rêves, comme ils unissent leurs mains et leur lèvres. Ils devraient être laissés tout entiers à la passion qui les transporte, à l’amour qui les unit, aux douces perspectives que l’avenir ouvre devant eux. Quel est donc cet intrus qui se faufile auprès d’eux et, solennel, baragouinant un mauvais latin, bredouillant quelques formules sacramentelles, les déclare, dans un jargon qu’ils ne comprennent ni l’un ni l’autre, irrévocablement unis par le Sacrement du Mariage ? Cet intrus, c’est le prêtre, encore le prêtre et toujours le prêtre.

Quand vous aviez quelques jours, jeunes époux, c’est le prêtre qui vous a baptisés, quand vous aviez douze ans, c’est le prêtre qui vous a donné, pour la première fois, l’Eucharistie. Aujourd’hui, c’est le prêtre qui bénit votre union et vous déclare légitimement mariés. Cessera-t-il de s’attacher à vos pas, de s’acharner à votre poursuite ? Non ! Il vous a attendus au seuil de la vie ; il vous escortera jusqu’aux portes de la mort.

Autre date solennelle et fatidique ! Heure à laquelle, se sentant gravement malade, le patient que guette la mort, embrasse d’un coup d’œil toute sa vie, remonte le cours de ce fleuve jusqu’à sa source et en examine les eaux avant qu’elles ne se jettent définitivement dans le gouffre. Ce moribond sait ce qu’il était, ce qu’il faisait, où il se trouvait il y a dix, vingt, quarante ans. Il ne sait ce qu’il sera, ce qu’il fera, où il sera, demain ; il s’affole à l’appréhension de ce redoutable inconnu. Toutes les frayeurs le harcèlent ; toutes les terreurs que la religion a jetées dans son imagination et que les agitations de la vie avaient écartées de lui et tenues à distance, se rapprochent, grossissent, prennent des formes fantastiques. Spectres pleins de menaces, ces folies ne lui laissent plus un instant de repos ; elles attisent sa fièvre, elles alimentent son délire. Ces hallucinations tournent à, l’obsession : c’est l’idée fixe de l’enfer et de ses inexprimables tourments qui met l’esprit du malade à la torture. Mais voici le prêtre ; il est porteur des saintes huiles ; il pratiquera sur le moribond, les onctions qui calment et purifient ; il administrera les derniers sacrements, il prononcera les dernières prières ; il exorcisera Satan ; il murmurera les paroles de suprême consolation, de pardon, d’espoir et de confiance, à l’oreille de l’agonisant qui a déjà