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Vendredi 31 juillet, le matin.

« La mobilisation russe est un fait accompli. Le manifeste du tsar a été affiché cette nuit. Je vais à l’ambassade de France… Je trouve l’ambassadeur fort occupé. M. Paléologue paraît tout à fait certain de la guerre et s’en réjouit presque en songeant que la situation est la plus favorable que l’on ait jamais pu espérer. »

« A déjeuner, chez Cubat, je cause avec des officiers. Aucun ne cache sa joie de la guerre prochaine. »

En outre, M. Paléologue, le 31 juillet 1914, au matin, déclarait à l’ambassadeur de Belgique : « La mobilisation russe est générale. En ce qui concerne la France, elle ne m’a pas encore été notifiée, mais on ne peut pas en douter ». Et si l’on ajoute à cela ce passage ci-dessous, puisé dans les mémoires de l’Ambassadeur de France à Pétrograd, et portant la date du 31 mars 1915, on est totalement fixé sur le rôle de la diplomatie :

« Nous avons pris les armes, écrivait l’Ambassadeur, parce que la ruine de la Serbie aurait consacré l’hégémonie des puissances germaniques, mais nous ne nous battons pas pour réaliser les chimères du slavisme. Le sacrifice de Constantinople est déjà suffisant. »

On ne peut avouer avec plus de cynisme que la guerre de 1914 était voulue, recherchée, préméditée, que, seul, le prétexte manquait et qu’il appartenait à la diplomatie de le trouver.

Le meurtre de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo, par l’étudiant serbe Garilo Prinzep, fut une occasion inespérée de déclencher le carnage et la diplomatie, en cette affaire, interpréta son rôle de façon admirable, c’est-à-dire qu’elle se dépassa en abjection. Tout eût pu s’arranger si les diplomates n’étaient pas les vils serviteurs du capitalisme et si la diplomatie était autre chose qu’une institution au service du Capital. Mais le Capital, représenté au Pouvoir par M. Poincaré et ses hommes, voulait la guerre, et il la prépara avec la complicité de la diplomatie.

Le 16 janvier 1914, le Baron Guillaume, ministre de Belgique à Paris, écrivait à son Gouvernement : « Ce sont, en fait, MM. Poincaré, Delcassé, Millerand et leurs amis qui ont inventé et poursuivi la politique nationaliste, cocardière et chauvine dont nous avons constaté la renaissance. C’est un grand danger pour l’Europe et la Belgique. J’y vois le plus grand péril qui menace aujourd’hui la paix de l’Europe. »

Et le 10 mai 1914, à propos du voyage de Poincaré en Russie, il écrivait : « Il y a envoyé récemment Delcassé, auquel il a confié la mission de chercher, par tous les moyens, à exalter les bienfaits de l’alliance franco-russe et à amener le grand empire à accentuer ses préparatifs militaires. »

Comme l’on comprend bien, alors, que, lorsque débarquant à Dunkerque, le 29 juillet 1914, à midi, le sénateur Trystram lui posa cette question :

« Pensez-vous, M. le Président, que la guerre pourra être évitée ? » Poincaré répondit : « Ce serait, grand dommage, jamais nous ne retrouverions conditions meilleures. »

Qui donc dénoncera les agissements de la diplomatie internationale ? Qui donc arrachera le bandeau qui couvre les yeux du peuple ? Personne. Capital, Diplomatie, Gouvernement, trois têtes sous le même bonnet, exercent leur puissance dans tous les domaines ; la presse est muselée, elle est achetée, et ce n’est qu’accidentellement que l’on arrive à savoir quelque chose. La vénalité, la corruption de la presse est aujourd’hui le secret de polichinelle, mais pourtant, nous croyons utile de publier, malgré sa longueur, le document qui

va suivre et qui démontre, de manière indiscutable, la collusion de la presse et de la diplomatie.

C’est à la « Bonne Guerre » que nous devons la publication de ce pacte qui fut conclu en avril 1920, au nom de la grande presse française, par MM. Roëls, rédacteur en chef des services extérieurs du « Temps », Charles Rivet et Tavernier, courriers diplomatiques de ce même journal.

Voici ce pacte :

1° « L’accord qui intervient, valable de mai 1920 il juin 1921, comprend : 1° les journaux : Le Matin, Le Journal, L’Écho de Paris, Le Temps, Le Petit Parisien, L’Information, Le Gaulois, La Liberté, Le Petit Journal, la France Libre ; 2° les agences : L’Information, Radio et Agence des Balkans, cette dernière comme minimum pour la cessation d’insertions de dépêches hostiles à la Bulgarie ;

2° Le matériel devra être remis par Sofia ou ses représentants, soit directement aux rédactions, soit à M. Roëls, suivant les cas. Les questions d’organisation, c’est-à-dire de répartition de ce matériel et des formes diverses que peut affecter son insertion dans les organes précités (c’est-à-dire : dépêches, notes, articles, lettres de correspondants, interviews, réponses), sont à définir sur place à Paris, entre M. Roëls ou son représentant pour les questions balkaniques, M. Tavernier et l’agent désigné par le gouvernement bulgare pour le service de presse en France ;

3° Les organes précités s’engagent à insérer les télégrammes d’agence relatifs à la Bulgarie, qui leur parviendront par le canal de Radio ou de l’Information ;

4° L’agence L’Information sera représentée à Sofia par un correspondant français désigné par elle, qui fera le service de dépêches pour l’agence et un service de lettres pour le journal, L’agence Radio aura un représentant, préférablement bulgare, choisi par le Gouvernement qui se bornera à transmettre à son agence les notes ou dépêches d’informations à lui, remises par le bureau de presse du ministère des Affaires étrangères de Sofia ;

Le Temps enverra en Bulgarie un correspondant français qui sera chargé :

a) D’un service télégraphique : b) d’un service de lettres ;

Le Petit Parisien sera représenté également, mais soit par un journaliste bulgare, soit par un français déjà établi. Ce sera au Gouvernement bulgare à le rechercher et à le désigner. De même pour le représentant de Radio ;

7° La gratuité télégraphique est accordée dès mise en vigueur de l’agrément par le Gouvernement bulgare aux agences L’Information et Radio et au journal Le Temps. De plus, les frais d’entretien à Sofia, des correspondants du Petit Parisien et des deux agences, seront assurés, pour la majeure partie du moins, par le Gouvernement bulgare ;

8° Il est entendu que, par ces divers moyens, un service continu d’informations bulgares, venues de la source même et non plus dénaturées par des adversaires, sera assuré dans les organes ci-dessus désignés et principalement dans Le Temps ;

9° Il est expressément compris également que les autorités gouvernementales bulgares ne demanderont jamais que ces informations prennent un ton agressif pour une puissance amie ou alliée de la France, et revêtent le caractère d’une polémique avec telle où telle de ces puissances. Il est entendu de même que ces informations, pour conserver tout leur crédit, ne prendront pas l’allure d’une campagne systématique sans mesure comme sans prudence. Par contre, les attaques constantes contre la Bulgarie cesseront dans les organes précités, c’est-à-dire dans la plus grande partie