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DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (Déclarations des). On sait que l’Assemblée nationale de 1789 a intitulé Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen l’ensemble des principes qu’elle reconnaissait comme les bases nécessaires de toutes les institutions humaines. Ces droits primitifs, naturels, imprescriptibles, les philosophes les avaient dès longtemps définis : l’Assemblée se bornait à les déclarer.

Aussi bien, l’histoire avait-elle enregistré maintes « déclarations des droits ».

Au Moyen-Age, l’affranchissement des communes avait permis, sous le nom de « reconnaissances » ou de « concessions », de « franchises », d’ « usages », de « privilèges », la confirmation de certains droits acquis antérieurement (vestiges du droit romain ou coutumes locales), et la reconnaissance d’autres droits jusqu’alors réservés à une minorité privilégiée (royauté, noblesse, clergé, particuliers, corps constitués).

Au xvie siècle, la Réforme avait eu, en Angleterre et en Hollande, ses pétitions et ses « déclarations de droits ».

Mais la République des « Insurgents » américains eut l’honneur d’évoquer, la première, les Droits de l’Homme en tête de la Constitution d’un État.

I. Déclaration de 1776 : — La Déclaration de l’Indépendance américaine, rédigée au nom des « Insurgents » par T. Jefferson, J. Adams, B. Franklin, R. Sherman et R.-P.-R. Livingston, fut adoptée à l’unanimité, le 4 juillet 1776, par les représentants des treize colonies unies de l’Amérique du Nord.

Elle rappelait les « droits inaliénables de l’homme » dans les termes que voici :

« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes :

« Tous les hommes sont créés égaux ;

« Ils sont doués par leur créateur de certains droits inaliénables ;

« Parmi ces droits se trouvent : la liberté et la recherche du bonheur.

« Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés.

« Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir, et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. »

La Déclaration américaine fut ainsi la première à fonder la Constitution d’un État sur les bases essentielles de toute démocratie, qui sont la souveraineté nationale et le droit à l’insurrection.

II. Déclaration de 1789 : — La Révolution française — on vient de le voir — n’eût donc ni l’initiative de la Déclaration des Droits de l’Homme, ni la primeur de son utilisation politique.

La Déclaration américaine était connue en France et en Europe dès avant 1789. Certains Cahiers, en particulier les Cahiers de la Noblesse, avaient même exprimé le vœu qu’une déclaration analogue fût rédigée par les États-Généraux qu’on allait réunir. Une Déclaration des Droits à l’usage du peuple français était imposée à l’Assemblée nationale par l’attente de tous les esprits cultivés. Le peuple de Paris allait montrer bientôt qu’il était prêt, au besoin, à l’exiger par la violence.

Le Tiers-État — c’était la bourgeoisie de l’époque — montrait à l’égard des « Droits de l’Homme » beaucoup moins d’enthousiasme que tels nobles idéalistes ou que le populaire excédé par les abus. Sans doute, demandait-il l’abolition des privilèges dont jouissaient, parfois à ses dépens, le roi, les nobles, le clergé. On

connaît la brochure célèbre publiée par l’abbé Siéyès, en janvier 1789, et dont le titre résumait les aspirations des bourgeois en trois brèves formules :

« Qu’est-ce que le Tiers-État ? — Tout.

« Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? — Rien.

« Que demande-t-il ? — À y devenir quelque chose. »

Mais ce « quelque chose », sous la plume de Siéyès, n’était qu’une litote : le Tiers, qui croyait être tout dans la nation, voulait devenir tout dans l’État. Il entendait non seulement conserver, mais accroître indéfiniment les avantages matériels déjà considérables que lui avaient acquis des siècles d’une lutte obstinée. Quant aux droits de l’ouvrier, il n’en avait cure. Et lorsque, dix ans plus tard, sous le Directoire, il se trouverait suffisamment « nanti » par les dépouilles des nobles et du clergé, il adhérerait sans vergogne aux propos du cynique Fouché, déclarant qu’il n’y avait plus « qu’à arrêter la marche d’une Révolution désormais sans but, depuis qu’on avait obtenu tous les avantages personnels qu’on pouvait prétendre ». Le Tiers-État voulait faire la Révolution, mais à son bénéfice exclusif.

Ce fut donc malgré l’hostilité plus ou moins avouée du Tiers, que l’Assemblée nationale, entraînée par le comte de Montmorency et par le comte de Castellane, décida de placer en tête de la future Constitution du Royaume, un bref exposé des principes qui devaient en inspirer les dispositions.

La lutte, au sein de l’Assemblée, fut longue. Divers projets avaient été proposés. Le 12 août, la rédaction fut confiée à une Commission de cinq membres. L’un d’eux, le comte de Mirabeau, député du Tiers, quoique noble, présenta le travail commun dans la séance du 17. Mais ce premier projet fut rejeté.

Sur la proposition du marquis de la Paulette, l’Assemblée décida que de nouveaux projets seraient élaborés dans les bureaux. Enfin, après un second débat, la Déclaration, qui avait été repoussée tout d’abord en séance secrète par 28 bureaux sur 30, fut imposée par les tribunes en séance publique et votée à la majorité des voix.

Elle avait eu pour principaux rédacteurs le général marquis de La Fayette, le prince de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun, l’abbé Siéyès et l’avocat Mounier, député de Grenoble. Elle se compose d’un préambule, œuvre de Mounier, et de 17 articles. Placée en tête de la Constitution du 3–14 septembre 1791, elle resta en vigueur jusqu’à la révolution du 10 août 1792, qui abolit la royauté.

Voici le texte intégral de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :

« Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :

« Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des Droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme :

« Afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ;

« Afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique en soient plus respectés ;

« Afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

« En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et