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La notion absurde d’un Dieu au-dessus de l’Univers, du Grand Tout est l’image subjective de l’Éternité, niais, au point de vue objectif, qui est celui de l’Univers englobant temps et espace, la notion Éternité est non existante.

Ce Dieu féroce et tout-puissant, et comme tel responsable de tout ce qui existe, condamna sa création en naissant à la peine capitale, c’est-à-dire à la mort, et fit de la vie un incessant struggle for life, une guerre d’extermination de tous contre tous dans un monde hiérarchisé et peuplé de demi-dieux, de rois et de princes, représentants ici-bas de son règne arbitraire et autocratique…

Les millénaires succédèrent aux millénaires, les siècles aux siècles et, au fur et à mesure que l’humanité se dégagea de l’animalité et que la planète devint plus habitable, le fantôme Dieu recula devant la conscience humaine grandissante.

Athènes, la Renaissance, la Révolution Française, sont les trois points lumineux dans l’affreux cauchemar qu’est l’histoire de l’humanité et ce sont ces trois époques qui dessillèrent enfin nos yeux et permirent à la pensée scientifique, portée sur les ailes de la lumière, de vaincre Dieu et de prendre son vol vers l’infini.

Le grand xviiie siècle, le siècle de l’Encyclopédie avec ses géants de la pensée : Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Holbach, Helvétius, Lavoisier, a, en parachevant l’œuvre de la Renaissance, définitivement ruiné la conception géo et anthropocentrique, qui voyait, d’après la Bible, dans notre Terre le centre de l’Univers et dans l’homme le but de la création. La Révélation en est morte.

Le xixe siècle, le siècle des sciences exactes, a prononcé péremptoirement, de son côté, que rien ne se perd ni ne se crée, que l’Univers est d’unité constitutive, simultanément cause et effet, qu’il est éternel dans l’interdépendance du temps et de l’espace et que dans l’Univers, qui se gouverne lui-même sans maîtres, par des forces inhérentes à la matière éternellement en gestation, il ne saurait y avoir de place pour un être suprême et parfait en dehors et au-dessus de lui… La donnée évolutionniste a vaincu le mythe créationniste et Dieu s’est évanoui à jamais, comme une brume malsaine.

L’Univers illimité dans l’espace, éternel dans le temps et aux formes essentiellement passagères et fugitives que revêt la vie dans ses manifestations individuelles pose à notre esprit d’investigation ce point d’interrogation hardie : Y a-t-il dans l’Univers une loi de Progrès éternel dont il est mû dans son ensemble ?

La réponse affirmative à ce point d’interrogation énigmatique comporte pour un lointain avenir, encore impossible à déterminer, non certes la résurrection individuelle et personnelle de toutes les vies passagères, mais leur survie impersonnelle dans l’universelle conscience d’un cosmos tellement évolué qu’il aurait une sorte de conscience collective de tout son passé, présent et avenir et jusque dans ses moindres détails. Ce serait l’immortalité consciente du Grand-Tout réalisant, sous une autre forme, les rêves étoilés et parfumés de vie éternelle que fait miroiter devant nos yeux notre instinct de conservation personnelle. Dans le cas contraire, notre vie, exempte de toute théologie, n’est qu’une étincelle entre deux nuits éternelles et les morts sont bien morts et ne ressusciteront jamais de la poussière, c’est-à-dire de l’éther cosmique, leur demeure dernière.

L’hypothèse, ou pour mieux dire la parenthèse ainsi ouverte ressemble étrangement, en attribuant toutes les horreurs au passé et toutes les perfections à l’avenir, à l’ancienne croyance au Diable et à Dieu et n’est, en dernière analyse, qu’une métamorphose nouvelle du

principe du Mal et du principe du Bien, faux tous les deux.

Ici, la synthèse du problème de « Dieu et du Diable », de la thèse du Bien et de son antithèse du Mal ne pourra être révélée que par la connaissance approfondie des mouvements, probablement sinusoïdaux, des Voies lactées et celle de la propagation de la gravitation, dont la vitesse doit être infiniment plus grande que celle de la lumière, ce qui permettrait à un observateur hypothétique, mû par une telle vitesse, de voir les événements à rebours, c’est-à-dire les décès d’abord, les naissances ensuite. Quel complément imprévu et suggestif à l’interdépendance du temps et de l’espace !

Quoi qu’on puisse dire et penser, l’homme évolue, c’est incontestable, l’humanité évolue, on ne saurait le nier. Notre terre évolue, les astres évoluent, c’est dans la logique.

Mais, dans ce cas, ne paraîtrait-il pas logique d’admettre également que les cieux, c’est-à-dire la succession des étoiles et l’éther, leur commune origine, évolueraient et progresseraient éternellement, la matière étant une et indivisible partout ?

La vérité objective, la vérité vraie, pouvons-nous la connaître ? Peut-elle exister ?

Relativement à nous, le présent mathématique est, pour ainsi dire, non existant et notre vie est faite de notre passé et du devenir de notre futur. Pour l’Univers pourtant, c’est toujours aujourd’hui et l’Éternité n’existe pas.

Une philosophie scientifique prétend qu’il n’y a pas de limites pour l’infiniment grand et que l’atome est théoriquement divisible à l’infini.

Pour les plus grands corps, les astres proprement dits, cette affirmation est erronée, les étoiles supergéantes connues, comme Betelgueuse et Antares, ayant respectivement des volumes valant 27 millions et 113 millions de fois celui de notre soleil.

Quant aux atomes, divisibles à l’infini et tourbillonnant les uns autour des autres avec des vitesses analogues et des distances en proportions minuscules égales à celles qui font graviter notre planète autour du soleil, les avis sont partagés, parce que des chimistes très compétents aussi prétendent qu’il y aurait 30 quintillions d’atomes dans un millimètre cube… et qu’à un moment donné — les spiritualistes ont beaucoup divagué à ce sujet — l’atome, en éclatant, se transformerait en électricité.

Mais l’électricité, c’est, comme la lumière, de la matière, de cette matière que nous sommes portés à considérer, relativement à nous, dans ses formations comme infiniment grandes et infiniment petites, mais qui, en réalité, doit être une, continue.

Et, avec tout cela, qu’advient-il de notre parenthèse d’immortalité matérialiste et de la loi du Progrès appliquée à la succession des voies lactées, déjà repérées à plus d’un million avec des milliards de soleils et qui, séparées les unes des autres par des millions d’années de lumière, naissent, meurent et renaissent après des quatrillions et des quintillions d’années d’existence éternellement du sein du cosmos, comme le phénix de la légende égyptienne ?  !

En attendant que nous trouvions la réponse à notre question dans la manière de se comporter de ces grandes unités de systèmes de mondes que sont les voies lactées, molécules elles-mêmes d’agglomérations de soleils constituant leurs atomes, nous considérons d’ores et déjà comme acquise la certitude de l’unité du Grand-Tout se gouvernant, sans intervention d’une force extérieure et uniquement d’après des lois inhérentes à lui-même. Dans ces conditions, force nous est faite de placer la recherche de la vérité au-dessus de nos désirs et de nos craintes, en nous considérant