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les exploits des poilus de la « grande guerre du Droit », comme se chantèrent, il y a plus d’un siècle, les victoires napoléoniennes. De tels exploits conduisent l’humanité à sa ruine. Quel que soit le courage des hommes qui accomplissent des exploits guerriers, les conséquences de leur action sont néfastes et ce courage inutilement dépensé, pourrait l’être plus avantageusement à des œuvres de vie, alors qu’il ne l’est qu’à des œuvres de mort.

Malheureusement, dès son enfance, l’homme, et plus particulièrement l’homme du peuple, soumis à l’éducation de la classe bourgeoise, entend à l’école glorifier les exploits des guerriers de son pays, et il est difficile par la suite d’effacer en son esprit les traces d’une admiration inconsciente pour tout ce qui est militaire. C’est à nous, qui avons compris, d’empêcher nos petits de se laisser corrompre, et de leur démontrer que les exploits militaires ne sont que des crimes provoqués par une classe intéressée, qui spécule sur la naïveté, l’ignorance et la lâcheté humaines.


EXPLOITATION Action par laquelle on utilise les capacités des personnes ou les ressources des choses, pour en tirer profit. Ce mot sert aussi à désigner le lieu où s’accomplissent les travaux, lorsqu’il s’agit d’arracher au sol ses richesses. L’exploitation d’une forêt consiste en la coupe des bois, pour les besoins immédiats ou pour la vente. Mais le chantier où se débitent les arbres, et s’apprêtent les expéditions, pourra être nommé aussi : l’exploitation.

Tant qu’il s’agit seulement de prendre dans la nature, pour le plus grand bien de la collectivité humaine, les métaux précieux, le charbon, et les multiples produits nécessaires à l’industrie, une exploitation n’est condamnable que lorsqu’elle aboutit au vandalisme, c’est-à-dire lorsqu’elle détruit, sans absolue nécessité, des merveilles naturelles, ou tarit, par ses stupides excès, d’abondantes sources de revenus.

Ce qui est particulièrement condamnable, et devrait disparaître de la civilisation, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme.

Elle s’est exercée, tout d’abord, durant l’antiquité, et presque jusqu’à nos jours, par le moyen de l’esclavage, qui consistait à réduire en captivité des populations vaincues, et à les faire travailler pour le compte des vainqueurs. Les esclaves appartenaient au maître comme des animaux domestiques. Il pouvait disposer d’eux selon son agrément, les châtier suivant son caprice, et n’avait à pourvoir en échange qu’à leur entretien. Puis fut instauré, au moyen âge, le servage, offrant quelques maigres garanties de sécurité aux opprimés. Avec ce régime, les paysans avaient faculté de faire fructifier pour eux-mêmes la terre appartenant au seigneur. Mais c’était à condition de lui verser, en échange, de lourdes redevances. De plus, ils étaient attachés au sol qu’ils cultivaient, et pouvaient être vendus avec lui. Le servage ne disparut totalement en France qu’avec la Révolution de 1789. Il ne fut aboli en Russie qu’en 1865 ! On en retrouve les vestiges dans cette coutume, qu’ont encore aujourd’hui les États, de céder, acquérir ou échanger des territoires, sans tenir compte de la volonté des populations qui les occupent.

Avec le salariat, qui est la forme moderne de l’exploitation de l’homme par l’homme, le travailleur pauvre n’a pas l’avantage de la pitance assurée qu’avaient autrefois les esclaves. Il est libre, en revanche, de changer d’emploi, de voyager, de s’établir, d’accepter ou de refuser un travail, de disposer de sa personne et de son temps, dans la mesure où ses économies le lui permettent. Cependant, il ne gagne de quoi satisfaire aux exigences de la vie qu’autant que la noblesse d’argent, qui a succédé à la noblesse d’épée et détient presque

tout, a besoin de ses services. Lorsque son travail n’est pas nécessaire, lorsqu’il peut être remplacé par celui d’un animal ou d’une machine, on le congédie sans souci de savoir ce qu’il deviendra. Encore le produit de son travail ne lui est-il point payé à sa juste valeur, c’est-à-dire selon le prix de vente au consommateur, abstraction faite de quelques frais généraux. Pour son bénéfice personnel, l’employeur perçoit une plus-value, c’est-à-dire qu’il opère une majoration de prix, souvent scandaleuse, sous prétexte de dédommagement de ses risques financiers, majoration que vient aggraver la série des intermédiaires du grand et du petit commerce. De telle sorte que, lorsque les produits du travail utile reviennent sous forme d’objets de consommation à la masse de ceux qui ont peiné pour les fournir aux entreprises patronales, c’est à des tarifs tels qu’ils ne peuvent les racheter qu’en partie, abandonnant le reste à la puissance d’achat des parasites — ou tout au moins des trafiquants en surnombre — enrichis de leurs dépouilles.

La disparition définitive de l’exploitation de l’homme par l’homme suppose deux conditions primordiales : la première, c’est que l’ensemble des moyens de production : champs, usines, ateliers, mines, carrières, etc., cessant d’être la propriété d’une minorité, fasse retour à la collectivité tout entière ; la seconde, c’est que les produits du travail livrés à la consommation le soient sans qu’il y ait eu possibilité pour la spéculation de s’exercer, c’est-à-dire sans que personne ait eu la faculté, par une opération quelconque, d’en majorer les prix de revient, sauf pour ce qui concerne d’inévitables frais généraux, réduits au strict minimum par le contrôle commun.

Il est à remarquer que, ces conditions réalisées, l’exploitation de l’homme par l’homme pourrait s’exercer encore, si des dispositions importantes dans la loi, ou mieux, dans les mœurs, n’intervenaient pour en compléter l’efficacité.

Avec le collectivisme d’État, qui serait une généralisation du fonctionnarisme, l’exploitation de la classe ouvrière pourrait être représentée par une bureaucratie exagérément nombreuse, que les producteurs de l’industrie et des champs seraient obligés d’entretenir dans une demi-fainéantise, et sous le poids de laquelle ils pourraient bien, une fois de plus, être accablés.

Avec le communisme libertaire le plus large, et une paperasserie réduite à sa plus simple expression, l’exploitation de l’homme par l’homme aurait licence de s’exercer encore, partout où des citoyens, consommant sans mesure et ne produisant qu’avec parcimonie, obligeraient, par cela même, leurs camarades, soit à diminuer leur consommation personnelle, soit à se charger de tâches supplémentaires pour que reste assuré le bien-être commun, ce qui, même après la disparition de tout numéraire, demeureraient, quant au fond, en rapport avec ce qui se passe aujourd’hui.

Pour prévenir ces abus, il est indispensable que soit développée, par l’éducation, une conscience morale, basée sur le sentiment de la responsabilité individuelle, et le respect du bien social. Tant qu’une telle discipline, librement consentie par tous les humains, n’assurera pas sans contrainte l’harmonie de la société ; il se produira inévitablement, contre les excès individuels, des réactions plus ou moins brutales de la part de ceux qui en seront les victimes. Sous une forme quelconque, législative ou insurrectionnelle, la force, mise au service de la règle nécessaire, deviendra une fois de plus la dure mais suprême ressource de la sauvegarde publique. — Jean Marestan.

EXPLOITATION. — Système odieux par lequel, avec l’appui de l’État, les possédants obtiennent de ceux qui