Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
EXP
739

nationaux. Ces produits, qu’il ne peut pas écouler intérieurement, il faut qu’il les écoule extérieurement. Il importe peu, au commerçant, à l’industriel ou au financier, que la population de son pays meure de faim, marche pieds nus et n’arrive pas à se vêtir ; ce qu’il veut, c’est vendre cher, à n’importe qui. On nous avait dit que le régime de l’exportation était soumis à certains facteurs atmosphériques, climatériques ou géographiques. Prenons un exemple. Quelles que soient la volonté, le génie, l’intelligence du producteur français, il n’arrivera jamais à faire pousser sur son sol, du cacao ou du café ; pour consommer de ces produits, le peuple français aura recours à l’importation, ce qui comporte fatalement l’exportation des pays producteurs de ces produits. Et alors, se joue une double spéculation. Les pays producteurs, sachant que les pays importateurs ont absolument besoin d’eux, vendront leur marchandise au prix fort, ce qui, inévitablement provoquera la hausse dans le pays d’origine ; d’autre part, lorsqu’il s’agit d’un produit de consommation courante, tel le café, par exemple, l’État, le gouvernement du pays importateur le charge de droits de douane formidables afin de se procurer des ressources. Il apparaît donc évident qu’un régime qui repose sur le commerce, donc sur le vol légal, ne peut trouver dans la légalité, une mesure susceptible de mettre un terme à l’arbitraire de la spéculation commerciale.

Un autre exemple frappant nous est offert en France de ce qu’est le régime de l’exportation commerciale, et de la cupidité des exportateurs. La France est un pays de production vinicole, et le vin étant la boisson nationale, une grande partie de la production pourrait être écoulée sur le marché français. Le climat de l’Angleterre, par contre, ne permet pas la culture de la vigne et ce pays est obligé de s’adresser à la France pour sa fourniture de vin. Le propriétaire français en profite et l’Angleterre payant plus cher que la France, il préfère écouler ses produits de l’autre côté de la Manche. Il en résulte une hausse des prix dans le pays d’origine et le consommateur français paye cher un produit qu’il devrait pouvoir se procurer à un prix relativement bas. Il en est de même pour quantité d’autres denrées, entre autres : le lait, le beurre, les œufs, les primeurs, etc… De plus, depuis la guerre, les pays à monnaie dépréciée ont vu s’étendre le champ de leurs exportations, et les propriétaires et les industriels, sans tenir compte des besoins de la population, n’ont pas hésité à exporter les matières de première nécessité et à les échanger contre une monnaie saine, peu sujette aux fluctuations des spéculations et du change. En aucun cas, les gouvernements et plus particulièrement les gouvernements français qui se succédèrent de 1919 à 1926, n’envisagèrent de mesures propres à arrêter l’exportation de produits indispensables à la vie de la population française ; qu’importe aux maîtres du pouvoir politique, représentants directs des maîtres du pouvoir économique, que le consommateur français réduise sa consommation au strict minimum, du moment que le capitalisme réalise des bénéfices scandaleux ? Parfois, cependant, l’exportation de certains produits est prohibée momentanément ; mais généralement, cette mesure demeure sans effet, car elle survient trop tard, une fois que l’exportation desdits produits est accomplie.

En vérité, on ne voit pas bien quelle réforme au statut commercial qui régit l’exportation et l’importation pourrait mettre un frein à un tel régime. Tout se tient dans la société bourgeoise et, même en supprimant les barrières douanières, on ne résoudrait pas le problème de l’exportation et de l’importation, qui provoque la hausse d’une matière, au gré du capitalisme qui la possède.

Que faire ? Pas grand chose en réalité dans le domaine de la légalité. Rien à attendre du Parlement,

des ministères et des gouvernants. Le remède est en dehors de l’ordre social établi. Les échanges ne se font pas aujourd’hui, de nation à nation, en raison des besoins économiques de chaque nation, ou si le facteur « besoin » joue un certain rôle, le facteur « intérêt particulier » en joue un plus grand encore. Et il en sera ainsi, sous des formes différentes, tant que l’intérêt particulier ne sera pas subordonné à l’intérêt collectif, tant qu’un individu ou un groupe d’individus, pourront réduire la consommation de millions d’êtres humains pour satisfaire leur soif de bénéfice et d’argent. Notre conclusion ne peut être que ce qu’elle fut pour quantité d’autres questions se rattachant au régime social actuel. Seule la Révolution économique peut transformer la société ; seule la prise des moyens de production par les producteurs peut faire régner l’égalité dans la distribution et la répartition des richesses sociales. En dehors de cela, il n’y a rien de vrai ; tout n’est que bluff et démagogie. Les Parlements peuvent voter des lois, à l’importation ou à l’exportation. Ce ne sera qu’un trompe-l’œil pour les électeurs naïfs. Interdirait-on demain en France l’importation ou l’exportation des blés, les grands propriétaires se chargeraient bien vite de raréfier le produit pour en provoquer la hausse. Il n’y a rien à faire de véritablement efficace dans le domaine du régime actuel. C’est la roue qui tourne et apporte toujours de l’eau au moulin. Par la bêtise, l’ignorance et la lâcheté humaines, le capitalisme est plus fort et il en profite. Il tient le peuple courbé sous son régime économique, et ce dernier restera économiquement un esclave, tant qu’il n’aura pas conscience de sa force, de ses possibilités, de ses moyens, et qu’il ne se libérera pas par la Révolution de tout ce qui le tient enchaîné à une société qui est condamnée par tout être raisonnable, sensé, sincère et logique.


EXPULSION n. f. (du latin expulsio, même signification). Action de chasser, d’expulser des individus de leur résidence ; contraindre quelqu’un à quitter le lieu où il est établi ; évacuation d’un locataire de l’appartement qu’il occupe. Expulser d’une maison, d’une ville, d’un pays. L’expulsion, quelque soit son caractère, est une entrave à la liberté individuelle, et son action affecte politiquement et économiquement tous les déshérités de la société bourgeoise. Nous ne nous arrêterons pas à ce que l’on appelle l’expulsion locative. Chacun sait qu’en notre belle société le malheureux, réduit à la misère par le chômage ou la maladie, n’a pas le droit de se loger. Ne pas avoir d’argent est un crime et celui qui n’a pas de ressources pour payer le loyer périodiquement réclamé par le propriétaire rapace est impitoyablement expulsé de son logis. C’est normal et logique, conformément à la légalité. Mais il est une sorte d’expulsion plus terrible encore que l’expulsion locative c’est l’expulsion nationale, c’est-à-dire l’interdiction à un individu de résider sur un territoire. « Dès que le séjour d’un étranger » dit le Larousse « devient un danger ou une menace pour l’État qui l’a reçu, il peut être expulsé ». C’est la porte ouverte à tous les arbitraires, à toutes les infamies gouvernementales. En France, ajoute le Larousse, « l’expulsion a lieu en vertu d’un arrêté du ministre de l’Intérieur ou même du préfet dans les départements frontières, et l’étranger n’a aucune garantie contre la mesure dont il est l’objet ». Pour un dictionnaire d’esprit réactionnaire et à caractère officiel, c’est un aveu qu’il est bon d’enregistrer.

Avant la guerre, une seule nation en Europe ne pratiquait pas l’expulsion des étrangers : c’était l’Angleterre. Les étrangers jouissaient, comme les nationaux, de l’inviolabilité individuelle, et les mêmes lois étaient appliquées aux uns comme aux autres. En 1912, une