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FAB
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FABLE n. f. (du latin fabula, récit, de fari, parler). La fable se définit proprement un produit de l’imagination, une fiction d’ordre religieux, politique ou moral, portés, sous les dehors de l’histoire ou de la fantaisie, à la connaissance des hommes. À ce titre, elle est l’épopée, souvent poétique, des créations auxquelles les humains, depuis les âges reculés, prêtèrent des attributs divins, et embrasse tous les récits ― dont l’Iliade d’Homère est le type immortel ― qui véhiculent jusqu’à nous les mythes et légendes des primitifs et des antiques civilisations. Dans cette dernière acception, elle s’identifie à la mythologie (de muthos, fable) et atteint toutes les divinités imaginaires dont les peuples de tous les temps ont enrichi les cieux. La Fable (nom collectif, avec une majuscule) désigne l’ensemble des dieux mythologiques : Homère a été l’historien de la Fable…

Le caractère d’irréalité qui s’attache à la fable lui a valu quelques sens dérivés ou étendus que nous signalons au passage, tels : récit erroné présenté comme authentique, affirmation controuvée, inventions sans fondement. (Exemples : L’histoire, regardée comme le miroir des temps, apparaît souvent, à l’analyse, comme un tissu de fables… C’est avec des fables que l’on fait s’entretuer les peuples… Si l’on voulait dénombrer les fables répandues par la presse, combien de volumes ne faudrait-il pas ?…) Ou ― figuré ― sujet de médisance, de moquerie. « Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde » (Molière). Ou encore ― littérature ―, canevas, ensemble des faits qui constituent l’action d’un roman, d’une œuvre dramatique : « Si bien écrit que soit un roman, il pèche s’il est mauvais du côté de la fable. » (Larousse).

Mais le sens principal, serrant d’assez près l’étymologie, et qui sera le leitmotiv de cette étude, est celui d’un récit, d’un conte emportant, sous le manteau de la fiction et par le truchement de l’allégorie, et dans le dessein de les rendre plaisants ou profitables, une abstraction rebelle, une vérité rébarbative ou, surtout, quelque précepte moral. Ainsi entendue, la fable ―, par définition, ne comporte pas nécessairement de moralité ―s’enferme généralement dans les bornes de l’apologue. « Un récit dont les personnages sont des animaux qui parlent et agissent comme des hommes, et une leçon tirée de l’exemple qu’ils nous proposent » telles sont, d’ordinaire, les deux parties essentielles de la fable-apologue. « C’est une façon particulièrement éloquente d’énoncer des idées par des images. Elle satisfait donc très bien notre esprit qui ne conçoit rien sans s’aider de comparaisons sensibles : c’est là pour lui une nécessité de nature. On sait, en effet, que même les mots les plus abstraits ont tous désigné, dans la fraîcheur de leur jeunesse, des choses concrètes. On ne s’étonnera donc pas que les hommes, pour exprimer leur morale, aient fait des fables dès la plus haute antiquité et dans tous les pays du monde » (J. Berthet : Introduction aux Fables de La Fontaine). On aperçoit en effet, à cette occasion, que les hommes, dès l’enfance de-l’humanité, dans leur lutte contre les instincts

désagrégateurs de sociabilité, ont essayé d’introduire dans leurs actions des règles directrices, et qu’ils ont fait appel à l’artifice de la fable pour en masquer l’aridité… Du chemin habile qu’elle est vers l’attention des hommes, du charme dont elle enveloppe les auditoires, pasteurs d’âmes et meneurs de foules ont su ― d’intuition ou avec psychologie ― depuis longtemps tirer parti. Les fabulistes eux-mêmes (Abstemius, Cousin, La Fontaine) nous en ont entretenu. La Fontaine, dans le Pouvoir des Fables, cite cet orateur qui, dans Athènes en danger, ne put se faire entendre du peuple, indifférent aux tons les plus directs de sa harangue, et vit enfin :

----- « … l’assemblée
Par l’apologue réveillée. »

La fable primitive

« L’apologue naquit en Orient, pays de l’esclavage et de l’imagination, c’est-à-dire de la métaphore dans la parole, de l’hiéroglyphe dans l’écriture, des allégories qui ne sont que des métaphores continuées, des mythologies qui ne sont que de grands systèmes d’allégories plus ou moins conscientes. Que l’on joigne à cela l’influence considérable que la doctrine de la métempsycose dut avoir dans l’Inde panthéiste sur le développement de l’apologue. Cette croyance que les âmes des morts passaient dans le corps des animaux, que ceux-ci étaient des frères malheureux en vertu d’une loi de justice, dut faire donner la plus grande attention à leur vie, à leurs actions et même à leurs moindres mouvements. Pour les Indiens, l’apologue n’a pas le caractère d’une fable : c’est l’expression de la réalité. » (Larousse)

Sans remonter aux premiers balbutiements de la fable (naïfs symboles, fugitives métaphores, fragments épisodiques) rapprochons-nous des origines par l’évocation des fables orientales et des paraboles de la Bible. Rapportons, avec Voltaire, parmi les plus lointaines, la légende hébraïque qui figure au, neuvième chapitre du Livre des Juges : « Il fallut un roi parmi les arbres ; l’olivier ne voulut point abandonner le soin de son huile, ni le figuier celui de ses figues, ni la vigne celui de son vin, ni les autres arbres celui de leur fruit ; le chardon, qui n’était bon à rien, se fit roi, parce qu’il avait des épines et qu’il pouvait faire du mal. » Quant à la parabole, cet exemple fabuleux par lequel s’enseigne la doctrine, image fleurie que Jésus, dès ses premiers entretiens, projette sur le cerveau des simples, inhabiles à accompagner sa pensée, les Évangiles l’ont recueillie d’abondance et insérée au cœur de la tradition chrétienne : Paraboles du trésor, de l’ivraie, du Samaritain, des deux fils, du vigneron, etc., parabole des Semences : « Celui qui sème s’en alla semer son grain et une partie de la semence tomba le long du chemin, où elle fut foulée aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent… Une autre partie tomba sur des pierres et, ayant levé, elle se sécha parce qu’elle n’avait point d’humidité… Une autre tomba au milieu des épines, et les épines, croissant avec la semence, l’étouf-