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De Frédéric Jacquier, dont le pittoresque d’expression et la souplesse versique sont comme d’attachantes réminiscences, signalons : Jupiter et la Brebis, Les deux Frères, et La Souris Persévérante qui

Se dresse vers le trou, le gratte, le regratte,
       Avec ses dents, avec sa patte,
              Pour l’agrandir,
               Et l’arrondir…

Avec les Fables de Florian (1755-1794) nous abordons, un siècle après La Fontaine, la première œuvre qui se détache avec quelque relief sur une production menacée de grise uniformité. Non pas que nous regagnions l’espace où brillent les étoiles du Bonhomme. Rien du tumulte imagé qui fait, parmi les genres prodigieusement confondus, comme des cascades d’harmonie. Ce ne sont pas ici les orgues et leur orchestration, mais, sur un clavier modeste, simplement mélodieuses, des fables en demi-tons. Avec un sens avisé de ses forces, Florian ne s’expose pas à manier les tonnerres en cacophonie, à jeter le bouffon sur l’épique en bousculades ridicules. Plus sage qu’à la contrefaire, il laisse chanter sa note, qui est tendre et fine, et situe, sans défaillances, d’adroites compositions sur un plan moyen de charme étudié. Il n’évite pas les travers de l’époque, aggravés par les exigences de l’apologue. Il prêche volontiers, coiffant la grâce de ses contes d’une couronne austère de moraliste. Un sentiment, parfois fade et apprêté, mais souvent généreux et qui exhorte aux gestes solidaires, adoucit cependant ce rigorisme sermonneur. Ses fables claires s’assurent avec aisance la faveur du public. On connaît : Les Deux Voyageurs ; Le Chien coupable ; La Guenon, le Singe et la Noix ; La Mère, l’Enfant et les Sarigues ; Le Vacher et Le Garde-chasse avec le dicton :

    …Chacun son métier
Les vaches seront bien gardées.

et :

        Aidons-nous mutuellement :
La charge des malheurs en sera plus légère…

de L’Aveugle et le Paralytique ; La Carpe et les Carpillons ; Guillot (le menteur puni) ; L’Enfant et le Miroir ; Le Grillon ; Le Troupeau de Colas ; et la médisante Chenille… comme autant d’apologues invétérés et populaires.

Déjà, les contemporains de La Fontaine, et quelques-uns de ses successeurs, avaient, en leurs subtilités, préparé la renaissance de la fable politique. Viennet (1777-1868) la ressuscite et l’étend, en ses apologues satiriques, pleins d’une verve piquante et spirituelle. La période mouvementée, pendant laquelle il joue son rôle en acteur courageux, marque son œuvre (et notamment ses Fables et ses Épîtres de remous agités. Arnault (1759-1833), qui cultive la tragédie, compose aussi des fables d’un tour épigrammatique. De son recueil, détachons : Le Colimaçon, la Châtaigne et la Feuille, qui va…

    …Où va toute chose,
    Où va la feuille de rose,
    Et la feuille de laurier.

Lachambaudie (1806-1872), attaché au saint-simonisme et plus tard à Blanqui, doit à ses opinions la prison et l’exil. Et dans ses Fables populaires, qu’il mêle à la vie publique (il les dit lui-même dans les clubs, les concerts), il apporte les préoccupations démocratiques de sa vie militante. Dans sa forme soignée, son œuvre regagne, par-delà les siècles, pour la combativité de l’épigramme, les fables allusives de Phèdre. Elle n’en a pas cependant l’incisive virulence. Par contre, elle s’allume de quelques éclairs poétiques :

Or, la lune dorait le pli des vagues bleues…

L’Enfant et les Bottes.

Citons : L’Hermine et le Rat ; L’Escargot et le Chien ; L’Enseigne du Cabaret (« demain on rasera gratis ») ; L’Enfant et la Pendule :

Tu n’arrêteras pas, dans sa course éternelle,
Le temps qui fuit, rapide, et qui ne revient pas…

La fable, avec ces auteurs, prend part aux mêlées du forum et redevient, pour un temps, une arme, à peine enveloppée, contre le régime. Elle s’apparente au pamphlet pénétrant et frondeur. Mais, comme lui, et comme toutes les œuvres qui personnalisent l’attaque ou qu’envahit la doctrine, elle participe de la momentanéité qui fait du meilleur journalisme un art éphémère. Nonobstant sa valeur, et ses aspirations, elle survit avec peine à son objet et se traîne avec effort au-delà des hommes et des institutions qu’elle a visés…

De ces fabulistes de combat, Lamennais (1782-1854) est le frère, un frère plus large et, plus qu’eux tous, poète. Ce grand évangéliste, aux visions de prophète, brûlé d’une foi toute romantique, ne peut manquer d’appeler la parabole au secours de son ardent amour du peuple. Il en parsème ce cantique passionné que sont les Paroles d’un Croyant : la parabole des Ombres, de l’Oiseau nourrissant les orphelins de la couvée voisine, la parabole du rocher :

« Et ils se levèrent, et tous ensemble ils poussèrent le rocher, et le rocher céda, et ils poursuivirent leur route en paix.

Le voyageur, c’est l’homme, le voyage, c’est la vie, le rocher, les misères de la route… »

Hautes et frémissantes leçons d’entraide fraternelle !… Ces lueurs éteintes, la fable retombe dans la monotonie. Mentionnons Xavier Marmier (1809-1892), traducteur du « Choix de Paraboles » de Krummacher, pour ses Contes populaires de tous les pays, remarquables par une connaissance approfondie de l’Europe du Nord, infatigablement visitée ; Plouvier (1821-1876), laborieux autodidacte, qui écrit des contes soignés, mais ternes : Contes pour les jours de pluie ; La Buche de Noël, etc… ; F. de Grammont (1815-1897) qui fait revivre en France la sextine des latins et est l’auteur de récits, chants et rondes de l’enfance (Bons Petits Enfants) dont : La Petite Fille et le Jardinier ; La Charité, etc…

Ensemble, notons rapidement : Royer, avec L’Enfant à la Tartine (Voulez-vous donner, donnez vite !) ; Reyre, prédicateur et pédagogue, de l’Ordre des Jésuites ; Richer (1729) avec Les Bergers ; le duc de Nivernais ; Tournier ; Amélie Perronet (L’art d’être Grand-Mère ; Le Petit Fanfaron, Pan ! Pan !) ; l’abbé Aubert (1731-1814) avec quelques fables bien construites et imagées ; G. de Boilleau, qui publie deux volumes de fables, plutôt effacées ; Mancini-Duvernois (1716-1876) ; Mme de la Férandière (1736-1817), qui a de l’élégance (Le Pinson et la Pie, Le Pinson et le Moineau, etc…) ; E. Chasles (1827-1895) : Contes de tous pays en prose (Le Renard et la Grenouille, etc…) ; A. de Naudet ; Mme Ackermann (1813-1890) avec ses Contes en vers, etc…

Divers auteurs, de la fin du xixe siècle notamment, accentuent la tendance, déjà sensible, à amener la fable au diapason des intelligences enfantines. Retour, ou ― sous un certain angle ― évolution. Tentative en tout cas passionnante, mais délicate et pleine de périls. Ils ne montrent d’ailleurs sur le chemin qu’une bonne volonté obstinément trahie par les réalisations. Aucun n’y apporte cette maîtrise géniale qu’il faut pour saisir, en deçà de l’appris des hommes, l’esprit vivant de l’âge et le restituer, sans le grandir ni l’éteindre ; pour se libérer du factice et descendre à la vérité puérile, et en même temps, ne pas perdre de vue le ciel fuyant de l’art et de la poésie… Aussi la fable, en s’infléchissant avec eux vers les jeunes perd surtout sa dernière verdeur et sa malice trépidante. Pauvre pastiche déco-