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français déclara que la croyance en Dieu n’était pas nécessaire pour acquérir la qualité de maçon. Le Grand Orient de France, fondé en 1772, abandonna alors ce que l’on appelle le Rite anglais et s’orienta de façon différente. En 1801, un nouveau Rite fut fondé : le Rite écossais. Ce sont ces deux rites qui prédominent en France, et le Rite anglais domine surtout en Allemagne du Nord et en Angleterre. En France, et surtout depuis 1870, la franc-maçonnerie a joué un rôle politique considérable et s’est surtout livrée à une puissante campagne contre le cléricalisme et l’Église. On ne peut nier qu’elle fut à cette époque un facteur d’évolution sociale ; mais, comme un grand nombre d’organisations sociales, elle a été corrompue par la politique.

Quels sont les buts de la franc-maçonnerie ? Et son action politique et sociale l’oriente-t-elle vers ces buts ? Nous ne saurions mieux faire que de reproduire un texte officiel de la franc-maçonnerie (Rite du Grand Orient) qui, bien que n’étant qu’un résumé, nous renseigne sur les aspirations des frères maçons :

« … L’Ordre des francs-maçons est composé d’hommes libres et de bonnes mœurs, réunis pour la recherche de la vérité et du bien absolus et répandus sur toute la surface du globe.

« Quelle que soit la loge dans laquelle ils ont été initiés, tous les maçons sont frères et contractent entre eux les mêmes obligations de solidarité qu’envers les membres de leur loge. Ils sont assurés, tant qu’Ils savent en rester dignes, de rencontrer appui et protection auprès de tous les maçons de l’un et de l’autre hémisphère.

« La franc-maçonnerie, institution essentiellement philosophique, philanthropique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et l’exercice de la bienfaisance. Elle a pour principe la liberté de conscience et la solidarité humaine.

« Elle ne se contente pas de ce principe négatif de la morale ordinaire : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse » ; mais, plus affirmative et plus énergique, elle dit à tous : « Fais pour autrui ce que tu veux qu’on fasse pour toi ». Elle regarde la liberté de soi-même comme un droit propre à chacun et n’exclut personne pour ses croyances philosophiques ; mais elle est nettement anticléricale ; elle a pris et maintient pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

« Dans la sphère élevée où elle se place, la franc-maçonnerie respecte les opinions de chacun de ses membres ; elle leur rappelle que leur devoir, comme maçons et comme citoyens, est de respecter les lois du pays qu’ils habitent.

« La franc-maçonnerie considère le travail comme l’une des lois impérieuses de l’humanité ; elle l’impose à chacun selon ses forces et ses moyens ; elle proscrit en conséquence l’oisiveté volontaire. Elle recommande l’exercice des devoirs envers la famille, la paix intérieure et la pratique de toutes les vertus qui peuvent assurer le bonheur de l’humanité.

« La franc-maçonnerie aspirant à étendre à tout et à tous les liens fraternels qui unissent les maçons sur toute la surface du globe, la propagande maçonnique, par la parole, les écrits et le bon exemple, est recommandée à tous les maçons.

« Il est prescrit aux maçons d’aider et de protéger son frère en toutes circonstances, de le défendre contre l’injustice, fut-ce même au péril de sa fortune et de sa vie.

« Sous l’abri tutélaire de ces généreux principes, les loges travaillent et s’appliquent à exercer, sur tout ce qui les entoure, une influence régénératrice par la moralisation et par la diffusion des idées de progrès. Elles en préparent les éléments dans leur sein pour les répandre au dehors comme une semence féconde ; elles enseignent au maçon qu’il est forcé d’appliquer son

intelligence et son esprit à les apprendre et à en pénétrer le sens ; qu’il est né pour le travail et qu’il doit toujours travailler à se perfectionner.

« Au sein des réunions maçonniques, tous les maçons sont placés sur le niveau de la plus parfaite égalité ; il n’existe d’autres distinctions que celles de la vertu, du savoir et de la hiérarchie des offices qui sont électifs chaque année. »

Si l’on étudie dans son esprit le programme ci-dessus, tracé brièvement, et qu’on en excepte la partie qui déclare que le devoir du maçon est de respecter les lois de son pays, la franc-maçonnerie présente un caractère révolutionnaire incontestable. Ajoutons tout de suite que, dans la pratique, elle s’est manifestée conservatrice. Internationale au sens le plus absolu du mot, de par ses statuts, elle s’est montrée nationaliste à l’excès, lors de la grande tourmente de 1914, et toutes les espérances que certains avaient fondées sur cette organisation se sont écroulées. Nous avons dit plus haut que c’était la politique qui avait corrompu la franc-maçonnerie ; cela est vrai et plus particulièrement en France, surtout depuis l’affaire Dreyfus et sa conclusion qui fut un échec retentissant pour les partis de l’Église.

Cette vaste association libérale était un champ d’action tout ensemencé qui attira tous les spéculateurs politiques, et les ambitieux y trouvèrent matière à exploitation. Petit à petit, la franc-maçonnerie perdit son caractère purement social pour épouser les rancunes des partis et, tout en restant foncièrement antireligieuse, elle se livra aux partis politiques de gauche, et radicaux et socialistes s’en servirent comme d’un tremplin électoral. Certains de ses membres devinrent ministres et, dès lors, ce fut la décadence morale de la franc-maçonnerie. Lorsque la guerre éclata, dans chaque pays les sections nationales engagèrent leurs membres à aller défendre la « Nation » et les dirigeants se refusèrent à écouter les faibles voix qui s’élevaient timidement contre cette monstruosité : la guerre. La franc-maçonnerie se déclarant nationaliste et patriote, marquait idéologiquement la fin de la franc-maçonnerie.

Cependant l’organisation franc-maçonnique subsiste toujours, mais elle est imprégnée d’un esprit politique. Elle exerce un pouvoir occulte sur l’orientation politique du pays, et plus de 200 députés appartenant à divers groupes politiques de gauche sont membres de la franc-maçonnerie.

Elle a conservé, malgré tous les travers qu’on peut lui reprocher, un certain esprit libéral. Elle poursuit un travail d’éducation qui n’est pas à dédaigner, et il faut reconnaître que, au sein des loges, chaque individu a le droit d’exprimer sa pensée et, sur toutes les questions à l’étude et en discussion, de développer son point de vue avec une liberté et une tolérance que l’on ne rencontre nulle part ailleurs.

Nous n’insisterons pas sur certaines pratiques et sur certains symboles maçonniques qui n’ont été conservés que par tradition et auxquels il ne faut attacher aucune importance. Les francs-maçons se réunissent régulièrement en des lieux appelés loges ou ateliers, et l’estrade ou la tribune d’où parle l’orateur est « l’Orient ». La hiérarchie maçonnique compte 33 grades ou degrés ; il y a les apprentis, les compagnons, les maîtres, etc… Le président d’une loge est dit « vénérable ».

Disons, pour terminer, que la franc-maçonnerie n’est plus une société secrète et que l’on y adhère assez facilement. On ne s’y livre à aucun exercice ou pratique tels que le colporte la légende qui s’est accréditée chez le populaire. Malgré son caractère légal, la franc-maçonnerie a été dissoute, en 1926, en Italie, par le dictateur Mussolini, et l’Internationale communiste en interdit l’accès à ses membres. Certains anarchistes militèrent jusqu’en 1914 dans la franc-maçonnerie, mais il n’y en a plus guère aujourd’hui.