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La nécessité de comprendre ces monuments fit naître de nouvelles formes chez les Indiens, pour l’interprétation des Védas, chez les Grecs, pour l’explication des poèmes homérides. Successivement, cette science passa des Indiens chez les Chinois, des Grecs chez les Romains, les Syriens, les Persans, les Arabes. Chez les Grecs, après Platon, Aristote et Théodecte, Épicure, Chrysippe et les stoïciens ajoutèrent à la grammaire. Elle atteignit sa perfection avec les philosophes d’Alexandrie : Aristophane de Byzance, Aristarque, Denys de Thrace, Apollonius Dyscole, Hérodien, « réputés pour bien entendre la grammaire », dit Moreri, et dont les ouvrages sont demeurés les meilleurs éléments de l’enseignement du grec.

Chez les Latins, l’enseignement de la grammaire fut introduit à Rome par Cratès Mallote. Ils eurent de nombreux grammairiens, entre autres Donat, le maître de saint Jérôme (ive siècle), et Priscien, professeur à Constantinople (vie siècle). Tous les grammairiens du Moyen-Âge ont puisé chez eux. Un abrégé de l’Ars minor, de Donat, a été en usage jusqu’au xvie siècle pour l’enseignement du latin.

L’esprit scolastique du Moyen-Âge s’occupa de l’étude théorique de la grammaire et des ouvrages qui faisaient autorité plus que de l’art de parler et d’écrire. La Renaissance, en étendant le champ des études antiques, rechercha au contraire cet art dans les usages des écrivains anciens et d’après leurs œuvres. Lorenzo Valla renouvela ces études suivant la formule de Denys de Thrace : « La grammaire est la connaissance expérimentale de ce qui se rencontre le plus communément chez les poètes et chez les prosateurs. » Il appliqua ce principe au latin. Ses traditions, continuées au xve sièclee et au xvie siècle, furent utilisées par Lancelot dans sa Grammaire latine de Port-Royal (1644). Les mêmes traditions furent établies pour le grec par les grammairiens humanistes : Chrysoloras, Théodore Gazis, puis Lascaris, continués par le flamand Clénard, le toscan Canini et les savants du xvie siècle. De tous ces travaux, Lancelot s’inspira pour faire sa Grammaire grecque de Port-Royal (1655).

Par la suite, les études grecques et latines devenant plus complètes, les travaux des grammairiens devinrent plus scientifiques. Ils s’étendirent à la connaissance d’autres langues anciennes, comme le sanscrit, et des langues modernes étrangères.

Ce n’est qu’au xvie siècle qu’on se mit à étudier la langue française. Elle n’avait pas eu de grammairiens au Moyen-Âge ; elle avait été une luxuriante végétation qui s’était développée en toute liberté, puisant sa sève dans de nombreuses traditions, mais surtout dans la terre, le climat et l’instinct populaire. On se mit à l’étudier d’abord, à la réformer ensuite, pour extraire du parler populaire le langage académique. La forêt inculte et échevelée devint un jardin à la française. (Voir Langue). L’étude, commencée par l’Anglais Palsgrave, en 1530, et le Français Giles de Wez, son contemporain, fut continuée par Jacques Dubois dit Sylvius, Meigret qui voulait « renverser toute l’ancienne orthographe et rétablir entre la parole écrite et le langage parlé une complète harmonie » (Ph. Chasles), Ramus, Robert et Henri Estienne, du Bellay, Ronsard qui donna « à la fois une syntaxe et un vocabulaire poétique » (id.), et tous les grands écrivains de la Renaissance qui enrichirent la langue et la grammaire. La réforme qui suivit trouva sa formule classique dans Vaugelas, dont les Remarques sur la langue française parurent en 1647. Elle fut basée sur le « bon usage », c’est-à-dire non sur l’usage fait jusque-là par les écrivains français qui avaient plus ou moins écrit ou modifié la langue populaire, mais sur celui des écrivains de cour. Le travail de Vaugelas fut adopté par ces écrivains réunis dans l’Académie Française qui publia, en

1604, la première édition de son Dictionnaire. Vaugelas était un médiocre grammairien ; il négligea les origines et le développement naturel et historique de la langue pour établir des règles trop souvent arbitraires. Les académiciens étaient encore au-dessous de lui sur ce sujet. Ménage essaya bien de donner à la grammaire des bases plus scientifiques, mais il avait plus de bonne volonté que de savoir et il échoua.

L’Académie fit de la grammaire, suivant la définition de son Dictionnaire : « l’art qui enseigne à parler et à écrire correctement », c’est-à-dire en respectant le bon usage et d’une manière exempte de fautes contre les règles et le goût fixés par elle. Par la suite, la grammaire fut complétée suivant les mêmes directives par d’Olivet, Dumarsais, de Wailly, Domergue et d’autres au xviiie siècle. Girault-Duvivier, au commencement du xixe siècle, fit la Grammaire des grammaires qui les réunissait toutes. L’Académie Française, malgré ses fonctions qui devraient être celles de conservatrice de la langue, fut rarement soucieuse de la grammaire. Le monde et la politique l’intéressent plus que les belleslettres. Elle a toujours eu le dédain des grammairiens, espèce d’hommes peu bruyants et insuffisamment décoratifs qui ne se trouvent pas parmi les maréchaux, les ducs et les prélats dont elle fait sa parure. Aussi s’attira-t-elle d’assez dures semonces, entre autres celle-ci, de Bescherelle, lui reprochant de ne voir dans les grammairiens que ceux qui enseignent la grammaire et d’ignorer leurs travaux : « Nous engageons l’Académie à être un peu moins irrévérencieuse envers une classe de savants qui ont rendu de si grands services à la philosophie du langage, et qui, certes, seraient beaucoup mieux placés à l’Académie que certains grands personnages que leur inutilité complète peut seule faire remarquer, et Dieu fasse grâce à tous ceux qui sont dans ce cas. »

Durant le xixe siècle, des travaux plus complets et plus sérieux furent faits par les savants qui s’occupèrent de la grammaire dans ses différents genres, savoir : la grammaire proprement dite, la grammaire générale, la grammaire comparée et la grammaire historique.

Grammaire proprement dite. — D’une façon générale, on appelle grammaire un livre qui formule les règles d’un art ou d’une science. Au point de vue du langage, la grammaire proprement dite ou grammaire particulière, est celle qui expose les règles d’une langue. Elle comprend trois parties : la phonétique, qui traite des sons et des articulations de la langue et donne les lois de leurs combinaisons ; la morphologie, qui est l’étude biologique de la langue dans la forme des mots (étymologie), et leurs transformations (morphologie proprement dite) ; la syntaxe, qui est la construction et l’arrangement des mots pour l’expression de la pensée. La syntaxe est la partie principale de la grammaire, celle qui est à sa base et d’où sont sortis tous ses développements. Elle est, dans la grammaire, la véritable grammaire ; elle présente les règles du langage dans leur ordre à la fois logique et pratique et les accords des différents genres de mots. C’est elle qui :

« ….. du verbe et du nominatif,
Comme de l’adjectif avec le substantif
Nous enseigne les lois….. »

Molière.

La syntaxe s’inspire de l’orthologie, qui est la manière de bien parler, et de l’orthographe, qui est la manière de bien écrire ; elle est un de leurs éléments par l’examen des mots réunis, comme la lexicologie par l’explication des mots séparés.

Alors que la syntaxe et l’étymologie ont été les premières recherches de la grammaire, la phonétique et la morphologie n’y ont été introduites que bien après. Elles ont créé ses formes nouvelles et ont pris une impor-