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de médailles et de galons, travaillant à préparer les futures boucheries. Et lorsque l’on songe à tout le mal qu’ils ont fait, qu’ils font et qu’ils feront encore, le sourire se traduit par des larmes amères.

« Le ridicule tue », dit un proverbe. Si cela était vrai, il y a longtemps déjà que nous serions débarrassés de tous les grotesques qui nous entourent et que nous pourrions vivre heureux dans un monde régénéré et libre.


GROUPEMENT n. m. (du mot italien groppo). On appelle groupement un ensemble d’individus partageant les mêmes opinions ou liés par les mêmes intérêts. Un groupement politique ; un groupement industriel ; un groupement social.

De plus en plus, à la faveur des événements, par l’étude et par l’observation, et cela dans toutes les branches de l’activité humaine et sociale, les individus se rendent compte que l’isolement leur est néfaste et que, seule, l’association peut leur permettre de soutenir et défendre les intérêts qui leur sont propres. Que ce soit politiquement, socialement ou économiquement, l’individu est sacrifié à la collectivité et, à mesure que se développeront les progrès de la science et de l’industrie, cette immolation s’accentuera et s’intensifiera démesurément.

Nous n’en sommes plus à l’époque légendaire où l’homme partait seul à la conquête du monde. L’âge est passé où l’individu, travailleur, négociant ou artisan, pouvait, dans une certaine mesure, vivre entouré uniquement de sa famille, détaché de toute l’ambiance. Le siècle du travail individuel est passé. Les découvertes nombreuses qui ont enrichi l’humanité depuis une centaine d’années, leur application à l’industrie, le développement du commerce, ne permettent plus à l’individu d’ignorer ses semblables. Il est obligé, à moins de se laisser écraser, de rentrer dans la grande association humaine et de participer au concert collectif.

Le capitalisme, le premier, fut obligé d’avoir recours au groupement pour se développer. Quel serait, aujourd’hui, l’homme assez puissant, assez riche, pour financer à lui seul les immenses réseaux de chemins de fer qui sillonnent le monde ; où trouverait-on le Crésus qui serait susceptible d’entreprendre l’exploitation de toutes les richesses souterraines : charbon, fer, pétrole, dont l’intensité de la vie moderne a développé les besoins ? Les grandes compagnies, les sociétés anonymes, ont remplacé le patronat isolé, le patronat individuel, car aucun homme n’est assez grand pour entreprendre seul, et à son seul profit, l’exploitation de toutes les richesses sociales.

Nous savons que la situation économique d’une puissance influe directement sur sa situation politique ; nous avons dit, d’autre part, que les parlements n’étaient que des institutions subordonnées à la ploutocratie financière et industrielle d’une nation, et de même que le capitalisme fut obligé de se former en groupements, le parlement se divise en groupes, chacun d’eux représentant une fraction du Capital.

Cette situation de fait a automatiquement déterminé tous ceux qui souffrent de l’ordre social établi à rechercher les moyens propres à lutter contre les forces d’exploitation qui ne se présentaient plus sous le même angle que dans le passé. On ne bataille pas contre le patronat organisé et groupé, de la même façon qu’on bataillerait contre un patronat individuel. A une force organisée, il faut opposer une force organisée, et c’est ce qui a entraîné le prolétariat à fonder sur le terrain économique, c’est-à-dire dans les cadres de la corporation, des syndicats groupant, à quelque tendance qu’ils appartiennent, les travailleurs qui, individuellement, seraient incapables de se dresser contre les prétentions de ceux qui, non seulement détiennent la richesse éco-

nomique, mais qui dirigent aussi tous les rouages des sociétés modernes.

Nos lecteurs trouveront par ailleurs (voir Confédération générale du Travail, etc., etc.) tout ce qui peut les intéresser et les initier sur les différentes formes de groupements de travailleurs. Nous ne pouvons, une fois de plus, que déplorer que les divisions politiques, qui sont nées au sein de la classe ouvrière, ne permettent pas l’union de toutes les forces travailleuses en un vaste groupement unique, capable de résoudre en une formule lapidaire les buts qu’il se propose et les moyens dont il dispose pour les atteindre.

Le groupement, en une seule organisation, de toutes les forces prolétariennes, n’empêcherait du reste pas l’existence d’autres groupements d’avant-garde, luttant pour un but précis et bien déterminé. Pour les libertaires communistes, qui considèrent le syndicalisme comme un moyen et non comme un but, l’unification des forces ouvrières ne serait pas une raison suffisante pour dissoudre leurs groupements. Nous avons, à maintes reprises, déclaré que les groupements syndicaux ne pouvaient s’étendre et se développer que s’ils ne se couvraient d’aucune étiquette politique et philosophique, de façon à ce que chaque adhérent se sente bien chez lui, quelles que soient ses opinions politiques ou philosophiques. Chaque travailleur, s’il est exploité et, par conséquent, victime de la forme économique arbitraire de notre société, a sa place dans le groupement syndical. Le syndicalisme, à nos yeux — et nous l’avons déjà dit — est d’essence réformiste ; il devient révolutionnaire à la faveur des événements, parce que les événements sociaux sont déterminés par la situation économique qui évolue de façon méthodique ; quant à donner une couleur révolutionnaire, un esprit révolutionnaire au syndicalisme, ce fut une erreur qui se perpétue encore de nos jours et qui entrave le développement du syndicalisme mondial.

Et c’est précisément parce que nous ne prêtons aux groupements syndicaux aucun principe révolutionnaire, mais seulement une valeur révolutionnaire, que nous sommes des anarchistes communistes et que nous considérons que, quelle que soit l’activité bienfaisante du syndicalisme, il nous faut intensifier notre propagande pour former, plus nombreux toujours, des groupements d’anarchistes.

Il en est de l’anarchisme comme de toutes les autres opinions philosophiques, économiques, politiques ou sociales. Il fut un temps où certains paradoxes trouvaient chez nous une oreille sympathique. La formule : « l’homme fort, c’est l’homme seul », ne fera plus maintenant de ravages dans nos rangs. Les anarchistes qui, plus que tous autres peut-être, étudient les problèmes de la vie, se sont rendu compte que ce n’était que par le groupement de leurs forces qu’ils pouvaient espérer exercer une influence, et ils ont entrepris, ces dernières années, de s’organiser sérieusement et méthodiquement.

Certes, il y a un certain flottement qui se manifeste encore au sein des groupements anarchistes. L’anarchisme sort à peine de son stage philosophique et idéologique ; il a cherché sa voie ; il s’est trouvé en butte à une foule de difficultés qu’il a cependant réussi à surmonter et, maintenant, il n’est pas un mouvement d’avant-garde qui ne soit obligé de compter avec les forces de l’anarchisme qui s’organise.

La peur des mots et des formules nuit encore présentement au développement des groupements anarchistes. Ceux qui n’ont rien appris de la catastrophe de 1914, les « en dehors », ceux qui perpétuent la confusion et se refusent à reconnaître à l’anarchisme un rôle social et révolutionnaire, rendent difficile la besogne à laquelle se livrent les libertaires communistes, en interprétant d’une façon erronée leurs gestes et leurs paroles.

On prétend que l’organisation est une forme de l’au-