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taire – c’est-à-dire l’accroissement de l’entraide, des groupements libres : syndicats, coopératives, etc. ;

2° La culture de l’idéalisme, de l’enthousiasme, de l’initiative, de l’audace réfléchie, réalisée en partie par la biographie des grands hommes — non de tous ceux que l’histoire officielle actuelle qualifie comme tels parce que rois, généraux, ministres, etc. —, et en particulier des précurseurs méconnus, comme aussi par l’étude des utopies ;

3° La suppression de l’histoire, en tant qu’enseignement distinct, et l’enseignement des faits historiques, d’après une méthode qui tienne compte du mécanisme de l’esprit et des intérêts des enfants.

III. Les groupements syndicalistes et l’enseignement de l’histoire.

Depuis de nombreuses années la Fédération de l’Enseignement se proposait de préparer un livre d’histoire, pour les enfants, qui ne soit pas chauvin comme le sont encore nombre d’ouvrages, et fasse place à l’histoire des travailleurs. Ce livre, longtemps attendu et qui est d’inspiration marxiste, est paru en 1927. On lit sur sa première page :

xxx « Enfant,

« Étudie cette petite histoire de ton pays. Elle a été faite pour toi.

« Elle n’a pas oublié les paysans, les ouvriers d’autrefois qui ont peiné, qui ont souffert. Nous voudrions que leurs peines et leurs souffrances te fassent mieux aimer les paysans et les ouvriers, tous les travailleurs d’aujourd’hui.

« Sache bien que, sans ces travailleurs, les grands personnages de l’histoire n’auraient pu accomplir leur œuvre. C’est le travail qui est à la base de tout dans la vie d’un pays.

« Aime l’histoire. Sois curieux du passé de ton village, de ta ville. Pose aux grandes personnes, à tes parents, à ton maître, les questions que te pose à toi-même ton livre.

« Lis des récits d’autrefois. Tu comprendras mieux ensuite, un jour, ton travail et ton rôle futur de citoyen. Tu aimeras davantage la justice, qui veut que chaque travailleur ait un sort heureux.

« Tu aimeras davantage la paix, qui conserve pour l’avenir les bienfaits du travail. »

Le Syndicat national des institutrices et instituteurs publics a fait preuve de moins d’activité. En 1924, l’un de ses membres, auteur de manuels d’histoire, Clémendot, soutint avec vigueur sa proposition, longuement motivée, puis résuma sa longue série d’articles sous forme du questionnaire suivant :

1. — Est-il vrai que la folie encyclopédique et sa conséquence, le gavage abrutissant, sévissent plus que jamais à l’école primaire, et que le prétendu raccourcissement des programmes n’apporte aucun remède à ce mal s’il ne l’aggrave ? Est-il vrai que, selon l’expression de Lavisse, à vouloir tout enseigner, on arrive à n’enseigner rien ?

2. — Est-il vrai que la suppression totale de l’une des matières des programmes (si cette matière est inutile ou nuisible) ferait réaliser avec une absolue sûreté un gain de temps fort précieux pour l’emploi des procédés de la méthode active ?

3. — Est-il vrai que les examens primaires et secondaires démontrent que les résultats de l’enseignement historique sont lamentables ? Est-il vrai qu’ils sont plus lamentables encore chez l’immense foule d’élèves qu’on ne présente pas même au C.E.P. ?

4. — Est-il vrai qu’il est impossible que l’enseignement historique puisse donner des résultats satisfaisants parce que :

a) L’observation n’ayant rien à y voir, il s’adresse presque exclusivement à la mémoire qu’il surcharge outrageusement de façon à y engendrer le chaos ;

b) Comme l’ont affirmé J.-J. Rousseau, Volney, Charles Delon, Gaufrès, Roger Pillet, Georges Vidalenc, Henri Flandre, l’histoire n’est pas une science d’enfants, mais d’hommes faits.

5. — Est-il vrai que les heures innombrables consacrées à cet enseignement sont gaspillées en pure perte ?

6. — Est-il vrai qu’un enseignement dont les résultats sont nuls, quand ils ne sont pas néfastes, ne saurait en aucune façon être considéré comme fournissant un complément de culture ?

7. — Est-il vrai que, comme l’a dit Renan, « les sciences historiques sont de petites sciences conjecturales qui se défont sans cesse après s’être refaites » ? Est-il vrai qu’hier comme aujourd’hui « Plutarque a souvent menti » ?

8. — Est-il vrai que sur des sujets considérés comme très importants, tels que les Croisades, Jeanne d’Arc, Colbert, Louis XVI, les Girondins, Danton, Robespierre, Napoléon, le prétendu coup d’éventail, le prétendu faux d’Ems, la Commune, Thiers, les historiens professionnels sont en complet désaccord ?

9. — Est-il vrai qu’en se bornant à énoncer des faits incontestés, comme l’exécution de Danton ou celle de Lavoisier, sans en faire connaître les causes, on accomplit une besogne plus mauvaise que si l’on n’enseignait rien ?

10. — Est-il vrai que, si l’on veut exposer lesdites causes, on se heurte à des thèses radicalement opposées ?

11. — En particulier, faut-il enseigner, avec la plupart de nos manuels, que Colbert fut un homme généreux, désintéressé, qui aurait vendu tout son bien pour la gloire de la France, ou bien, avec Duruy, qu’en vingt-deux années de charge, Colbert amassa dix millions de fortune ? Faut-il enseigner, avec les mêmes manuels, qu’il favorisa l’agriculture, ou bien, avec Michelet, que, sous Colbert, il y eut famine de trois ans en trois ans ?

Faut-il enseigner, avec Albert Malet, que Danton fut, de tous ses contemporains, celui qui eut le plus des qualités qui font les grands hommes d’État ; avec Calvet, que nulle mort ne fut plus préjudiciable à la Révolution que celle de Danton ; ou bien, avec Albert Mathiez, que Danton était un démagogue affamé de jouissances, qui s’était vendu à tous ceux qui avaient bien voulu l’acheter, à la Cour comme aux Lameth, aux fournisseurs comme aux contre-révolutionnaires, un mauvais Français qui doutait de la victoire et préparait dans l’ombre une paix honteuse avec l’ennemi, un révolutionnaire hypocrite qui était devenu le suprême espoir du parti royaliste ?

Faut-il enseigner, avec Aulard, que, ce que l’on entrevoit de l’âme de Robespierre fait horreur à nos instincts français de franchise et de loyauté, qu’il fut un hypocrite et qu’il érigea l’hypocrisie en système de gouvernement ; ou bien, avec Albert Mathiez, que Robespierre a incarné la France révolutionnaire dans ce qu’elle avait de plus noble, de plus généreux, de plus sincère, qu’il a succombé sous les coups des fripons, et que la légende, astucieusement forgée par ses ennemis, qui sont les ennemis du progrès social, a égaré jusqu’à des républicains qui ne le connaissent plus et qui le béniraient comme un saint s’ils le connaissaient, ou encore, avec Jaurès, que Robespierre a rendu des services immenses en organisant le pouvoir réactionnaire et en sauvant la France de la guerre civile, de l’anarchie et de la défaite ?

12. — Est-il vrai qu’en parlant de Colbert, de Danton, de Robespierre, et d’une foule d’autres personnages, nous parlons de gens que ni nous, ni d’autres, ne connaissons suffisamment, et que nous contribuons ainsi, comme l’a fait remarquer Volney, à former des babillards et des perroquets ?

13. — Est-il vrai que l’enseignement de l’histoire à l’école primaire est surtout une œuvre politique, ainsi que le démontre d’une part la condamnation de certains