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illusoire de l’association, — principe socialiste et autoritaire. Mais il veut que l’association lui serve, à lui, individu se considérant comme fin. ; il veut l’employer selon son intérêt réel, — principe individualiste et libertaire. En résumé, l’association est pour lui un moyen de sa vie, et non le but de sa vie.

Avec le socialisme, religion de La Société (socialisme capitaliste d’aujourd’hui, expression cynique de l’égoïsme asservisseur du bourgeois actuel, du bourgeois possédant — ou socialisme collectiviste de demain, expression voilée du même égoïsme asservisseur de nouveaux bourgeois, les représentants mués en dirigeants), l’individu est sacrifié, au nom d’un prétendu intérêt général ou collectif absolument illusoire, à l’intérêt des possédants ou des dirigeants, des maîtres, des forts, en un mot des puissants. À lui de se rendre aussi fort et aussi puissant que ceux-ci, il lui suffira d’en avoir la volonté agissante pour le devenir ; alors il sera son propre maître, le maître de soi, et, par surcroît, avec la généralisation d’une telle attitude, d’elle-même l’harmonie sera établie dans la société.

Sous le régime socialiste (capitaliste ou collectiviste), préconisé par les prêtres de l’idée religieuse de Société, la prospérité de l’association est le but de la vie de l’individu, la vie de l’individu est le moyen de l’association. Les profiteurs sont dans la coulisse. Avec l’individualisme libertaire, l’individu, enfin irréligieux, n’a plus à s’immoler à l’association, puisqu’il n’y participe que dans la mesure de sa libre volonté et suivant ses besoins. La prospérité de sa vie est le but de son association, son association est le moyen de sa vie. Les profiteurs disparaissent.

Le sacrifice de l’individu au fantôme Société s’obtient par un de ces bluffs qui nécessitent chez la victime un « poirisme » absolu : il consiste dans la « subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général ».

L’intérêt général — abstraction.— ne devrait jamais être en discordance avec les intérêts particuliers, dont il devrait être l’exacte expression dans un monde bien organisé ; mais en ce cas il serait inutile de l’invoquer. L’intérêt général est donc un mensonge : il n’existe que des intérêts particuliers. Admettons cependant un instant son existence. Il y a bien actuellement divergence entre le prétendu intérêt général invoqué pour obtenir le sacrifice de l’individu — et l’intérêt de celui-ci. Une preuve de cette vérité repose dans ce fait, que les moralistes enseignent aux hommes à « voir plus haut que leur petite personnalité » et. qu’ils disent carrément que « le bon citoyen doit subordonner son intérêt personnel à l’intérêt général » (à l’intérêt de La Société, de La Patrie, etc.). Mais cherchez ce que dissimule cet « intérêt général » : les intérêts particuliers des maîtres, de leurs prêtres et autres valets associés dans l’État. L’État n’est qu’une ridicule église où l’on dit des messes à la « raison collective », l’État est encore une « association de malfaiteurs ».

Chaque fois que votre intérêt personnel est en désaccord avec l’intérêt général qu’on vous oppose et auquel on veut vous sacrifier, prolétaires, il vous appartient de rechercher quels, parasites bénéficient de la différence : traduite en pécune, elle entre dans leurs coffres-forts.

Enfin, il n’est nul besoin d’insister sur ce que nul ne s’avise de contester, à savoir : que l’homme est un animal naturellement sociable, non seulement par besoin moral et sentimental, mais encore physique, économique et intellectuel. Il est inutile de répéter ce que chacun sait : que l’association multiplie les jouissances de l’homme en même temps qu’elle diminue ses peines. Tant par intérêt réfléchi que par tendance instinctive, l’association se présente donc à.’l’individu comme un moyen de vivre d’une vie plus large et plus haute.

La sagesse individualiste ne portera pas l’homme à répudier le principe d’association sous le prétexte que

jusqu’à ce jour on en a dénaturé le sens, mais, au contraire, elle l’incitera à organiser son association de telle manière qu’elle soit sa chose et qu’il ne puisse être sacrifié au nom de cette chose à l’intérêt d’autrui. — Manuel Devaldès.

N. B. — Cet exposé de l’individualisme égoïste de philosophie stirnérienne est le résumé de mes Réflexions sur l’Individualisme écrite suis, depuis, détaché de cette tendance, tout en demeurant, selon moi, foncièrement individualiste. — M. D.

INDIVIDUALISME (Anarchisme-harmonique) — Je ne définirai pas l’individualisme. Pour ne pas être tenté, en partant de ma définition, de démontrer que ceci est individualiste et, que cela ne l’est pas. Cependant, pour qu’on me comprenne et que je me comprenne moi-même, il faut indiquer, à peu près, ce que j’entends par individualisme… Entre le sens si étroit et si pur du mot qu’il n’y a jamais eu d’individualiste et que Diogène peut refuser ce nom même à son maître Antisthène, et le sens large, immense, infini où M. Charles Maurras lui-même devient un individualiste puisqu’il s’exprime autrement que son voisin aussi royaliste que lui, il y a un certain nombre de sens intermédiaires qui sont les seuls intéressants parce que, seuls, ils disent quelque chose. Dire tout, puisque c’est tout confondre, c’est une façon de ne rien dire. Ainsi, je ne puis pas définir parce qu’individualiste. Mais je dois indiquer dans quel sens je prends, maintenant, le mot individualisme. Je ne prendrai pas le mot dans le même sens que M. Clemenceau. Je ne le prendrai pas dans le même sens que les bourgeois qui vantent leur individualisme. Et même, si des camarades sont surtout préoccupés de questions économiques, je ne me rencontrerai pas avec eux. Je pourrais prendre aussi le mot individualiste dans un sens métaphysique, je pourrais chercher quelle est l’essence de l’individu. Je ne me dirigerai pas non plus de ce côté… Je négligerai donc individualisme bourgeois, individualisme économique, individualisme métaphysique. J’examinerai seulement les différentes sortes, ou plutôt différentes sortes — car je ne suis pas sûr de faire une énumération complète — de l’individualisme éthique.

J’ai employé le mot « éthique », mot savant et peu connu, plutôt que « moral », qui est le mot connu, le mot courant. Parce que je n’aime pas ce dernier terme ou ce qu’il représente à mes yeux. Je considère « éthique » comme le nom d’un genre où je distingue deux espèces : les morales et les sagesses. Et, au nom des sagesses, je condamne les morales. Beaucoup d’individualistes, d’ailleurs, se sont déclarés immoralistes. Je me déclare quelquefois immoraliste. À condition qu’on entende bien que, par cette déclaration, je ne renonce pas à rendre logique et rythmée la conduite de ma vie, Mais j’essaie de rythmer la conduite de ma vie par la sagesse et non par la morale… C’est donc un certain nombre de sagesses individualistes que je vais essayer de distinguer ce soir. Les sagesses individualistes, les individualismes éthiques sont des méthodes pour se réaliser soi-même. Elles nous donnent sur nous-mêmes un certain pouvoir. Mais nul pouvoir n’existe qui ne s’appuie sur un savoir. Aussi, très divergentes bientôt, les sagesses individualistes partent pourtant d’un même point. Tout individualisme éthique commence par la formule de Socrate : « Connais-toi toi-même ».

Lorsque Socrate dit : « Connais-toi toi-même », il veut que je me connaisse, non pas métaphysiquement, non pas dans mon essence, non pas dans ce qui est insaisissable, mais dans ce qui est saisissable ; il veut que je sache ce que je suis, ce que je veux et ce que je peux. La connaissance individualiste de moi-même comprend la double critique de ma volonté et de ma puissance.