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étaient les ridicules disputes qui passionnaient la chrétienté. On n’arrivait pas à se mettre d’accord, ni sur les dogmes, ni sur les rites. Un concile (Elvire, 305), ne condamnait-il pas la coutume païenne d’allumer des cierges ? Les chrétiens ont changé d’avis, depuis lors, puisqu’on vend 100.000 kilos de cierges par an, rien qu’à Lourdes.

Bref, Constantin — qui n’était pas chrétien — s’interposa pour remettre un peu d’ordre dans l’Église. Il blâma Arius « pour avoir imprudemment initié le peuple à des mystères qui n’étaient point faits pour lui » ( ?  !), il fit appel à la modération des uns et des autres et il convoqua (325), le premier concile œcuménique (c’est-à-dire universel). Il ordonna que les prêtres seraient transportés gratuitement à Nicée, où devait se tenir le Concile. 2048 évêques accoururent, de toutes les provinces, « gens à tel point simples, ignorants et grossiers », mais pleins d’orgueil de se voir protégés par l’Empereur — alors que les persécutions dioclétiennes étaient encore présentes à toutes les mémoires.

Constantin assista au Concile et participa aux discussions — je répète qu’il n’était toujours pas chrétien, c’était en qualité d’Empereur qu’il agissait ainsi, cherchant uniquement à mettre la religion au service de ses intérêts, ainsi que l’ont fait par la suite les monarques de tous les temps et de tous les lieux.

Arius fut exilé et Constantin se rallia aux consubstantialistes. Mais l’arianisme continua de se répandre et le madré Constantin ne tarda pas à rappeler l’hérésiarque, à donner son appui aux idées ariennes et à envoyer promener les orthodoxes.

Nous saisissons là, sur le vif, l’attitude gouvernementale à l’égard des cultes. Elle n’est pas dictée par la croyance ou la foi, mais par les calculs politiques. Ajoutons que c’est seulement à son lit de mort que Constantin se décida à recevoir le baptême. C’est néanmoins grâce à lui et à ses combinaisons intéressées que l’Église chrétienne avait été tirée du néant, qu’elle avait acquis quelque puissance et qu’elle commençait à en imposer aux populations crédules.

Il m’est impossible de relater par le détail tous les avatars de l’Église, ses luttes avec les pouvoirs établis, ses efforts pour réaliser son unité et développer sa puissance. De plus en plus, l’évêque de Rome chercha à imposer sa tutelle à l’ensemble de l’Église ; il ne se contenta plus de détenir une primauté théorique sur les autres évêques, mais il voulut gouverner tyranniquement le clergé et le soumettre entièrement à ses caprices et à ses intérêts.

Bien entendu, c’est le peuple, la masse des producteurs et des opprimés, qui fit toujours les frais de ces compétitions entre évêques, papes, rois et empereurs. Les bergers se disputaient la laine, mais le troupeau était toujours tondu.

Pour arriver à ses fins, l’Église se montra toujours intolérante. Les rebelles, les insoumis furent toujours impitoyablement réprimés. Il en fut ainsi dès les origines, puisque Constantin, pour complaire aux catholiques, édicta la peine de mort contre tous ceux qui posséderaient des écrits de l’hérésiarque Arius (en attendant de se réconcilier avec celui-ci, par calcul). Le christianisme donnait donc, dès le ive siècle, l’exemple d’une férocité doctrinaire à laquelle le monde barbare n’avait pas été habitué.

Les successeurs de Constantin, en particulier Théodose, donnèrent à l’Église de Rome un appui très large et l’arianisme fut rapidement étouffé. Quant au paganisme, il subsista plus longtemps et il parvint même à pénétrer et à imprégner profondément les rites de la nouvelle religion.

A l’exemple de leurs empereurs, les riches romains se rallièrent au christianisme — les uns et les autres

obéissaient au souci de conserver leurs privilèges. La religion du Christ avait été, au début, favorablement accueillie par les esclaves et les humbles, auxquels elle faisait entendre un langage vaguement égalitaire — se gardant bien, d’ailleurs, de leur conseiller la révolte. Au contraire, Saint-Paul avait dit : « Esclaves, obéissez à vos maîtres, dans la simplicité de votre cœur, avec crainte et tremblement, comme à Jésus-Christ lui-même. » (Ephésiens, VI, 5). La plupart des premiers Pères de l’Église, Saint-Ignace, Saint-Cyprien, etc., tinrent le même langage et conseillèrent aux esclaves, à l’instar de Saint-Paul, « de servir encore mieux ».

Les nobles romains comprirent qu’ils n’avaient rien à craindre des chrétiens et que leurs privilèges seraient au contraire consolidés par cette religion toute de résignation. Effectivement, sous Théodose, empereur très chrétien, il y a toujours des esclaves et des maîtres, rien n’est changé au sort des opprimés. Plus tard, l’esclavage fera place au servage, mais ce phénomène sera la conséquence de l’évolution économique. Le serf restera attaché à la terre et sera aussi cruellement exploité que l’esclave antique — sous le regard complice de la Sainte Église.

Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Basile, Saint-Isidore, ont pris la défense de l’esclavage. Saint-Augustin y voit une juste punition du péché. Le doux Chrysostome lui-même, qui compatit aux souffrances des esclaves, n’en déclare pas l’illégitimité. Saint-Bernard proclame que les possesseurs de serfs ont le droit de les corriger. Saint-Thomas d’Aquin, le grand docteur catholique, dira plus tard que la nature a désigné certains hommes pour être esclaves et Bossuet légitimera l’esclavage par un prétendu droit de conquête guerrière. Touchante unanimité à travers les siècles ! Du reste, l’Église possédait aussi des esclaves et des serfs et ce n’étaient pas les mieux traités — on sait que cet état de choses s’est prolongé en France jusqu’à la Révolution de 1789 et que les derniers serfs étaient… dans un monastère.

Tout ceci n’empêche pas certains casuistes d’affirmer que l’Église a supprimé l’esclavage !

Non seulement elle n’a rien supprimé, mais elle a permis l’esclavage des noirs, qui n’existait pas avant le christianisme et qui se développa durant plusieurs siècles, sous son aile charitable !  ! L’Afrique fut décimée, le Nouveau Monde fut mis au pillage, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants, furent violentés, asservis, torturés par des rois très chrétiens, des soudards et des marchands de chair humaine — tous munis des bénédictions et des encouragements de l’Église.

Lorsque l’Empire romain s’écroula définitivement, l’Église de Rome, qui s’était appuyée sur lui et sur son aristocratie, demeura un moment désorientée dans le chaos et la confusion qui régnèrent alors en Occident. Elle ne tarda pas cependant à perdre toute inquiétude. L’Église était une des rares forces organisées qui n’ait pas été emportée par la tourmente. Elle bénéficia au contraire de cet immense bouleversement. Il n’y avait plus d’empereur à Rome, mais il y avait toujours un pape et il héritait, en partie, du prestige des anciens Césars, aux yeux des peuples habitués depuis si longtemps à obéir aux directives romaines. L’unité romaine impériale était abattue et morcelée, mais l’unité catholique demeurait. C’est au Moyen-âge, et particulièrement au ve siècle, qu’elle connaîtra l’apogée de sa puissance et qu’elle fera trembler les peuples barbares et leurs chefs grossiers et ignorants, proie plus docile encore, pour le prêtre, que les aristocrates affinés du régime impérial.

C’est également le prestige conservé par Rome, l’ancienne ville des Césars, qui permit à la Papauté de s’imposer à l’Église. Les autres évêques durent subir