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seul et même vice. » (La Bruyère). Selon les époques le mot indulgence est en harmonie ou en contradiction avec l’idée de justice. A notre époque d’ignorance sociale sur la réalité du droit, de la justice, il ne peut être question que de justice relative et l’indulgence est de rigueur. Ce qui est faute aujourd’hui, ne l’était pas hier et ne le sera probablement pas demain et dès lors la sévérité ne saurait être inexorable. Aussi les diverses religions, et tout particulièrement la religion romaine, sont très expertes dans l’art de distribuer des indulgences. Les défaut, les fautes, même graves, trouvant le pardon de l’Église par l’acquit de certaines indulgences. Ici, l’indulgence devient du mercantilisme, et selon le prix que le pécheur met à l’indulgence sollicitée, l’Église remet intégralement ou en partie le pardon demandé.

Nos lois, si souvent absurdes quand elles ne sont pas mauvaises, font état d’indulgence en supprimant certaines peines prononcées.

En résumé, l’indulgence appliquée signifie que la société repose sur une équivoque ; qu’elle se meut entre l’anarchie et le despotisme. Dès lors les classes dirigeantes hésitent à se montrer sévères dans l’application des lois faites pour avoir de l’ordre au jour le jour. Il en sera ainsi jusqu’à ce que le besoin de justice la fasse découvrir et appliquer aux actions individuelles et sociales. — E. S.


INDUSTRIALISME n. m. (de industria : industrie). Terme employé pour désigner la production et la distribution d’articles économiques par de grands organismes industriels dotés de machines mues par la force motrice. C’est le mode de fonctionnement du système économique qui a été développé depuis ce qu’on appelle la révolution industrielle, c’est-à-dire l’introduction de l’emploi de la machine dans l’industrie qui date de la première partie du xixe siècle.

Jusqu’alors on avait travaillé principalement avec des outils à main, pour lesquels la force motrice était fournie par l’effort musculaire de l’homme ou de l’animal dirigé par l’adresse individuelle du travailleur. Sous l’industrialisme, la machine remplace l’outil et largement l’habileté de l’homme, tandis que la force est fournie par la vapeur, l’électricité ou un gaz explosif. C’est ainsi que nous avons aujourd’hui la pelle à vapeur, la linotype, la forge mécanique géante, la grue électrique, la locomotive, le camion et mille autres dispositifs mécaniques grands et petits. Cette transition du travail à la main à celui à la machine n’est pas encore complète, elle continue toujours.

Cette révolution dans les procédés économiques entraîne naturellement de profondes transformations sociales dont beaucoup se sont déjà fait sentir.

Le premier et plus frappant, résultat de l’introduction de la machine est de mettre hors du travail un immense nombre d’hommes et de femmes ; de créer une armée permanente de sans-travail Des ouvriers sans travail d’une industrie par la substitution de machines se tournent vers d’autres industries dans leur chasse au travail, pour trouver des milliers d’autres ouvriers chassés de leurs industries par l’opération du même processus d’évolution.

La première réaction des ouvriers menacés par la marche en avant de la machine est une réaction naturelle de défense, comme dans l’exemple classique des travailleurs de la chaussure en Angleterre, qui se sont émeutés en cherchant à détruire les nouvelles machines. Cependant toute opposition à la marche inévitable de l’évolution économique est inutile et vaine. Le plus que les ouvriers peuvent faire c’est, par une action unie, de faire diminuer les heures de travail et faire ainsi de la place pour quelques-uns de leurs camarades exclus du travail. La machine continuera à remplacer l’ouvrier

partout où le capitaliste employeur trouve qu’il peut par cela augmenter son bénéfice, sans se soucier des souffrances qui peuvent s’ensuivre.

Si la société était assez intelligente pour prendre la direction de ses affaires des mains des exploiteurs du travail, cette réduction de la quantité de travail fait par les humains serait un bénéfice pour tous ; les heures de travail pourraient être réduites, laissant plus de loisir pour les autres choses de la vie, et les ouvriers pourraient être libérés pour des entreprises communes de caractère éducatif, de culture ou d’esthétique, tels que : concerts, musées, bibliothèques, classes d’études, parcs et endroits de jeux.

Le terme « Labor saving » (économisant du travail), qui est appliqué à plusieurs des nouvelles méthodes et inventions de l’âge industriel, tend à induire en erreur. Dans quelques cas, il est vrai que la tâche de l’ouvrier est allégée, mais le capitalisme ne les adopte pas parce que cela rend le travail plus facile, mais uniquement parce que cela augmente le bénéfice de l’employeur. Elles ne sont pas employées pour économiser le travail, mais introduites pour le bénéfice du capitaliste au préjudice de l’ouvrier. Parallèlement, avec l’introduction de la machine et largement conditionnée par cela, l’unité industrielle s’est constamment améliorée, renforcée. Les usines, fabriques, mines, chemins de fer, etc., appartiennent aux grandes corporations et trusts qui prennent systématiquement la place de l’employeur individuel ou de la maison privée. Ceci trace plus nettement la démarcation de classe entre le capitaliste et le prolétaire et il est presque impossible à ce dernier de s’établir lui-même comme employeur. En réunissant de grandes quantités d’ouvriers sous la direction d’un seul employeur, l’industrialisme contribue à développer la solidarité de la classe ouvrière vers une meilleure compréhension des intérêts communs économiques de tous les ouvriers.

En même temps que le volume de l’entreprise augmente, la tâche de l’ouvrier individuel est diminuée. Avant, l’artisan, le tisserand, le tailleur, l’imprimeur, connaissaient tout, ou la plupart des opérations nécessaires pour transformer la matière première en produit fini. Maintenant, le travail qu’ils avaient l’habitude de faire est divisé en plusieurs tâches séparées, dont chacune est confiée à un ouvrier — un spécialiste — mais dont les fonctions demandent peu d’habileté, dans la plupart des cas. Cet ouvrier exécute une série d’actions simples et monotones toute la journée.

Cette simplification de la tâche journalière de l’ouvrier a ses avantages et ses désavantages. Il est moins difficile, pour lui, de changer d’industrie, suivant les circonstances ou ses préférences. Il n’est plus enchaîné à un seul métier de la jeunesse à la vieillesse. L’émancipation de la femme a été, elle aussi, grandement facilitée, sa soumission ancienne à l’homme disparaît en raison des plus nombreux moyens de se suffire à elle-même dont elle a le choix. De même, ceux qui auraient été physiquement et mentalement incapables d’accomplir le travail difficile de l’artisan habile du Moyen-Age, trouvent à s’employer dans de multiples emplois.

D’un autre côté, l’industrialisme a grandement augmenté les occasions d’exploitation du travail des enfants. Il est aussi plus facile maintenant de remplacer les ouvriers qui se mettent en grève. Enfin, en séparant l’ouvrier du produit fini, l’industrialisme a contribué à diminuer son intérêt au travail. Il l’a réduit à l’état de pièce d’une machine.

L’éloignement de l’ouvrier du produit fini, pendant tout son travail, encore augmenté par l’interposition d’une machine « impersonnelle » qui effectue les parties les plus importantes du travail, est une grande perte morale pour l’ouvrier. La gravité de cette perte a été cependant grandement exagérée. Elle est, en grande