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aurait la faculté de sortir de l’asile pour se promener. Il devrait même pouvoir vivre en partie de la vie normale en exerçant par exemple une profession.

L’internement arbitraire subsisterait néanmoins. Celui qui le veut trouve toujours le moyen de tourner la loi. On dira, de la personne dont on veut se débarrasser, qu’elle est dangereuse. L’internement arbitraire ne disparaîtra que lorsque personne n’y aura plus intérêt, c’est-à-dire après la disparition de l’argent et de la société capitaliste. — Doctoresse Pelletier.


INTERPELLATION n. f. (du latin interpellare). Action d’interpeller. Question que pose un parlementaire à un ministre. Le droit d’interpellation existe dans tous les pays où fonctionne le régime représentatif. Dans les pays de Dictature ou de Gouvernement absolu, dans ceux où, par suite des circonstances, les garanties dites constitutionnelles sont suspendues, ce droit est aboli ou provisoirement supprimé. Il arrive fréquemment que, loin d’être gêné par une interpellation, un Gouvernement provoque lui-même le dépôt d’une demande d’interpellation, soit pour se débarrasser d’une campagne de presse, soit pour calmer un commencement d’agitation, soit pour couper court à une information de nature à indisposer contre lui ses partisans ou ses adversaires. Dans ce cas, le vote est acquis d’avance, conforme aux désirs et aux intérêts du Pouvoir existant. Par contre, lorsqu’une interpellation est embarrassante pour le Gouvernement en exercice, quand elle est susceptible d’aboutir à un vote hostile de nature à mettre en minorité le Ministère, celui-ci a coutume de recourir, pour éviter sa chute, à une série d’expédients et de manœuvres bien connues, tels que l’ajournement sine die de l’interpellation, son inscription à la suite, sa discussion après enquête administrative ou judiciaire, son renvoi dans l’attente de renseignements précis. L’interpellation est, pour les parlementaires, qui n’en ignorent pas l’inutilité, un moyen d’attirer sur leurs personnes et de gagner au Parti dont ils sont membres la sympathie des électeurs.

Comme tout ce qui fait partie du mécanisme parlementaire, l’interpellation n’est qu’un des multiples rouages de l’appareil gouvernemental. Ce rouage ne vaut ni plus ni moins que les autres. Quand elle concerne un événement important, quand elle est appelée à engager lourdement la responsabilité des Gouvernants et lorsque, par voie de conséquence, elle risque de compromettre le prestige des Maîtres, d’ébranler la solidité du régime ou de soulever la conscience populaire contre les agissements criminels de la classe dirigeante, l’interpellation aboutit, neuf fois sur dix, à la nomination d’une Commission d’Enquête, chargée de faire la lumière, d’établir les responsabilités engagées et — pas toujours, mais quelquefois — de conclure à des sanctions. Il arrive, alors, que ladite Commission, après avoir constitué son bureau, fasse mine de se mettre sérieusement à la besogne. Elle paraît, les premiers jours, animée des intentions les plus louables et résolue à poursuivre activement le cours de ses travaux ; puis, de jour en jour, son zèle se ralentit, ses séances s’espacent, le silence se fait ; on n’en entend plus parler : d’autres événements font perdre de vue ceux qui ont motivé l’enquête ; c’est ce qu’on appelle : « un enterrement de première classe ». Au surplus, tous les travaux parlementaires n’aboutissent-ils pas au même résultat ?…


INTERPOLATION n. f. Action d’interpoler, c’est-à-dire d’altérer le texte ou le contexte d’une phrase, d’un passage. Les œuvres des auteurs anciens ont, pour la plupart, été interpolées ; les manuscrits des auteurs profanes n’ont pas été plus respectés que ceux des écrivains sacrés. Si l’on peut appeler interpolations les

variantes introduites dans les anciens poèmes grecs, avant l’invention de l’écriture, l’Iliade et l’Odyssée en fourmillaient, et la critique moderne est d’avis que des épisodes et des chants entiers de l’Iliade sont de vastes interpolations. « Chez les premiers chrétiens, dit M. Alfred Maury, l’habitude d’altérer les écrits des auteurs, d’en supposer même qui leur étaient étrangers, fut générale ». L’ancien et le nouveau Testament sont remplis d’interpolations. Dans l’ancien, les prophéties ne sont guère que des additions faites après l’événement. Dans les Évangiles, on ne compte plus les interpolations, tant elles sont nombreuses et, parfois, maladroites. Ces livres n’ont, pour ainsi dire, été composés qu’à l’aide de retouches et modifications successives. Dans les Antiquités Judaïques, l’historien Flavius Josephe n’avait pas fait mention de Jésus-Christ. Comme il était extraordinaire que Josephe, si parfaitement au courant de tout ce qui concernait la Judée, à l’époque du Christ et presque contemporain de ces événements n’eut pas parlé de Jésus, de sa mission, ni de sa mort, les chrétiens du iie et du iiie siècle ont intercalé, au Livre XVIII des Antiquités Judaïques tout un paragraphe d’une dizaine de lignes, destiné à combler cette lacune. C’est un exemple, entre cent autres, des audacieuses interpolations qu’ont subies les œuvres sur l’autorité desquelles l’Église catholique s’appuie et fait reposer sa doctrine.


INTERPRÉTATION n. f. Action d’interpréter, d’expliquer, de commenter. L’interprétation d’un texte, d’un passage. Il est rare qu’un texte soit d’une clarté telle qu’il ne puisse donner lieu qu’à une seule interprétation. C’est ainsi que le même texte peut susciter deux interprétations contraires. L’art de l’interprétation est de ceux qui favorisent le plus la mauvaise foi. Il arrive souvent que la pensée d’un auteur se trouve travestie et, quelquefois même contredite par la façon dont l’ignorance, le parti pris ou la mauvaise foi l’interprètent. Dans tous les cas, le mieux à faire est de se reporter au texte même. Il importe, en outre, de consulter le contexte, le sens d’une phrase, d’un passage dépendant le plus souvent de ce qui précède et de ce qui suit.


INTERRUPTION n. f. En rhétorique, figure par laquelle on suspend le développement d’un ordre d’idées, pour aborder un ordre d’idées différent. Action d’interrompre, d’arrêter l’exécution d’un travail quelconque ; se livrer à de fréquentes et maladroites interruptions. A chacun de nous l’occasion s’est, maintes fois, présentée d’assister, au sein de réunion publiques, à l’exposé d’une thèse qui ne recueillait point l’unanimité des suffrages et pour laquelle d’ailleurs, bien souvent, l’orateur n’usait pas que d’arguments empreints d’une parfaite loyauté. D’autres fois, il s’agissait simplement d’un sujet dont le développement allait absolument à l’opposé du but que nous nous sommes assigné et dont les conclusions se heurtaient à celles que nous tirons habituellement de nos propres théories.

Avouons-le : il faut, dans ces circonstances, un certain courage et une grande maîtrise de soi pour que, dès que retentit à nos oreilles le son de cloche différent de celui dont nous avons peut-être trop tendance à nous bercer, l’interruption, parfois brutale et rarement réfléchie, ne jaillisse pas de nos lèvres ! Trop d’individus, hélas, sont dogmatiquement imbus de leurs idées et, sans doute, par une survivance, même chez les plus apparemment affranchis, de l’esprit religieux, intolérant par essence, ils ne sauraient admettre qu’une idée contraire, par conséquent au premier abord hétérodoxe et condamnable, naisse dans le cerveau d’autrui. Ce travers, — disons-le : cette tare, — nous la rencontrons tout naturellement et au plus haut degré de virulence chez les partisans des doctrines autoritaires, chez ces