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du bon plaisir, de l’imprévu qu’un raisonnement rigoureux, un jugement bien établi ; telles les démonstrations géométriques.

L’imprévisibilité, pas plus que la variabilité ne détruisent le déterminisme humain ; elles ne font que révéler notre ignorance. Aucun mathématicien de génie ne peut prévoir à l’avance le parcours apparemment capricieux de la foudre. D’autre part la variation individuelle démontre l’instabilité du moi et le déterminisme inévitable des humains les acheminant inexorablement vers la mort, malgré leur désir de vie. D’ailleurs l’évolution du moi, depuis l’enfance jusqu’à l’extrême vieillesse, s’effectue suivant des normes rendant possibles une vie sociale et une certaine prévision de l’activité humaine, base de toutes sociétés,

En réalité un être ne pourrait être libre qu’à la condition qu’aucune cause passée, présente ou future ne le modifie en rien ; que son moi soit en dehors de toutes influences, pressions, contraintes, menaces, promesses ou déterminations de quelque nature que ce soit. Ce concept métaphysique est en contradiction avec toutes les données de l’expérience. Que la prévision exacte des pensées et gestes d’un humain soit impossible cela n’enlève rien au déterminisme de ses actes c’est-à-dire qu’il agit toujours en vertu d’un motif, lequel est inclus dans tous les phénomènes biologiques, lesquels, à leur tour, sont déterminés par de multiples lois mécaniques que le savoir humain essaie de découvrir tous les jours.

La méthode objective basée sur l’examen de la vie même et sur d’innombrables expériences démontre la détermination rigoureuse des phénomènes vitaux. Parmi les multiples études effectuées dans ce domaine la phylogénie, l’autogénie, la biologie et la pathologie éclairent suffisamment les faits pour en comprendre le développement. La phylogénie étudie l’évolution progressive des êtres depuis les formes les plus imparfaites se confondant presque avec le règne minéral, jusqu’aux derniers mammifères et constate les déterminations physico-chimiques (tropisme) des premiers ; l’évolution progressive et prodigieuse des organismes et des organes, surtout du système nerveux, parallèlement au développement de l’intelligence et la complication des actes volontaires. L’autogénie suit l’être depuis l’œuf fécondé jusqu’à son complet épanouissement. Là aussi il est facile de constater que la physicochimie détermine les premières manifestations vitales, presque identiques chez tous les animaux, surtout les vertébrés. Dans l’espèce humaine le nouveau-né et le jeune enfant démontrent par leur vie animale, réflexe et instinctive l’absence des vouloirs raisonnés et conscients. Le moi se forme lentement sous l’influence des phénomènes extérieurs, enrichissant la mémoire de faits perçus dans l’espace et dans le temps. La biologie nous montre le phénomène vital étroitement lié à la physicochimie, obéissant à des lois d’accroissement, d’assimilation, d’élimination, d’équilibre, d’imitation, d’habitude, d’hérédité, d’éducation, etc. L’être vivant paraît être un accumulateur et un transformateur chimique d’énergie puisqu’il est entièrement formé de substance et d’énergie qu’il conquiert dans le milieu. La vie ne peut se passer d’oxygène, de carbone, d’azote, etc., et la physiologie agrandit chaque jour ses investigations sur le fonctionnement physiologique des organes. Mais c’est surtout la pathologie mentale qui révèle quelques-uns des secrets de notre moi. Les maladies de la mémoire, de la volonté, de la personnalité observées par de nombreux psychiatres démontrent le rôle secondaire de la conscience. Les malades suggestionnés pendant leur sommeil somnambulique croient faire à leur réveil ce qu’ils veulent consciemment et n’ont aucune connaissance de l’origine réelle et objective de

leurs volitions, ni de la multiplicité de leur moi. La volonté est impuissante devant la perte progressive de la mémoire, les changements, les désagrégations de la personnalité et cela démontre suffisamment l’erreur du libre arbitre,

Même pour un être sain, il est absolument impossible de penser et d’improviser un discours de mille mots et de vouloir ensuite le répéter textuellement sans se tromper. Une volonté qui ne peut vouloir cela n’est point omnipotente et ne fait point ce qu’elle veut.

La volonté n’apparaît donc point comme un principe unique dirigeant l’individu mais plutôt comme une synthèse de toute son activité cérébrale physiologique, et la conscience comme la connaissance de certains seulement de ces processus mentaux.

Les conséquences sociales de l’absence du libre arbitre sont considérables et permettent tous les espoirs en justifiant les efforts de tous ceux qui œuvrent pour l’amélioration des humains. Comment en effet concevoir une transformation individuelle et sociale si les processus de causalités sont inapplicables aux hommes ? Si leurs gestes, leurs actions sont indéterminés, imprévisibles ? Non seulement le libre arbitre détruit les possibilités de déterminations, de modification et d’amélioration mais encore il détruit toute coordination, entente, convention, et partant toutes sociétés, puisqu’il n’y a plus de nécessités, ni de causes déterminant obligatoirement les hommes selon un ordre logique des faits s’enchaînant dans l’espace et dans le temps. Le libre arbitre supprime également toute responsabilité et l’utilité de toute critique, de tout effort éducatif, car toute critique n’est formulée que pour influencer et modifier autrui ; ce qui a un caractère nettement déterministe. Critiquer serait d’ailleurs une contradiction, car on ne peut vouloir déterminer quelqu’un et affirmer qu’il est indéterminé.

L’étude de la vie permet d’ignorer ces contradictions métaphysiques. Les hommes étant déterminés nous pouvons construire une meilleure société en réalisant les conditions nécessaires à son avènement. La vie ne se manifeste point dans l’incohérence, mais elle n’est possible qu’en accord avec les phénomènes objectifs et elle dépend comme eux de l’ordre et de la succession des choses dans l’univers. Savoir comment on est déterminé c’est mettre en soi un grand nombre d’éléments de détermination, lesquels s’équilibreront avec les lois naturelles et les nécessités objectives, en nous permettant de vivre et de durer.

Quant à la responsabilité elle ne peut s’entendre que comme recherche et évaluation des causes déterminantes possédées par l’homme, non pour le récompenser ou le punir, mais pour situer exactement sa valeur sociale et préciser les modifications subjectives à effectuer pour améliorer le présent et l’avenir. Etablir les responsabilités ce n’est donc pas reprocher un acte à quelqu’un, c’est reconnaître simplement quelles ont été les causes qui l’ont déterminé à agir, de manière à faire entrer l’expérience passée dans le déterminisme à venir, ce qui doit le modifier dans le sens d’une meilleure adaptation et de son intérêt vital.

Quant aux erreurs et méfaits occasionnés par l’individu, le milieu social en est entièrement responsable puisqu’il a précédé et formé cet individu. On ne saurait donc lui reprocher d’être ce qu’il est. Tout au plus doit-on chercher à le modifier dans un sens fraternel et harmonieux.

Remarquons enfin que suivre son bon plaisir ou suivre aveuglément son déterminisme signifie exactement la même chose, puisque le bon plaisir est lui-même déterminé par l’hérédité et l’éducation. C’est pourquoi la réalisation de l’harmonie individuelle et sociale ne peut aucunement se baser sur la fantaisie libre-arbitriste,