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Leur capacité d’initiative, leur discernement, leur esprit inventif, la gamme de leurs découvertes ont marqué le caractère et l’étendue de ses réalisations, servi ses audaces, permis ses progrès… Le sujet n’ayant été qu’effleuré au mot habitation (voir ce mot, voir aussi architecture, ville, etc.) nous donnerons ici, en bref, un historique du logement dont les stades, parfois dépouillés d’art, portent à travers les époques, et chez les peuplades de civilisation rudimentaire, l’empreinte d’une enfance simpliste et obstinée, millénaire souvent et parfois contemporaine de nos savants édifices…

« L’excès en froid ou en chaud de la température, la présence de fauves dangereux ont conduit les hommes à chercher un refuge dans les grottes et les cavernes. Ce furent les habitations des hommes quaternaires. Les Lapons, Samoyèdes, Ostiaks et autres habitants de régions sibériennes bâtissent des huttes, le plus souvent coniques, avec des perches assemblées par le sommet et couvertes d’écorce d’arbre et de mottes de gazon. Quand elle n’est pas formée de blocs de glace et de neige tassée, chez les Kamchadals, les Esquimaux et autres peuplades boréales, la hutte d’hiver est creusée en terre et couverte d’un tumulus de terre gazonnée. Mentionnons les cités lacustres ou villages bâtis sur pilotis, dans les eaux tranquilles d’un lac ou d’une rivière, et les habitations construites sur les grands arbres de l’Afrique centrale.

« Avant la conquête romaine, les peuples de la Gaule habitaient ordinairement des huttes cylindriques ou rectangulaires dont les parois étaient constituées par un clayonnage revêtu d’argile ou par des pierres brutes jointoyées avec du mortier de terre et couvertes en chaume. La case cylindrique et en forme de ruche est aujourd’hui la caractéristique des villages nègres de toute l’Afrique et d’une partie de l’Océanie et de la Nouvelle Calédonie. Une partie de la population du nord de l’Afrique et de l’Asie était nomade et avait besoin d’abris facilement transportables ; elle en a trouvé dans la tente en écorce, en peau, en feutre ou en étoffe. Certaines peuplades, de nos jours encore, n’ont aucun abri permanent…

« Avec la civilisation apparaît la véritable habitation, construite avec des matériaux plus durables : la pierre et la brique. En Orient, aussi bien dans l’antiquité qu’aujourd’hui, les relations sociales, à cause de la polygamie surtout, étaient restreintes dans d’étroites limites. La vie intérieure s’y dérobait et s’y dérobe encore au public. D’où les dispositions intérieures de ses maisons antiques et modernes. Une seule porte d’entrée ouvre sur l’extérieur, de rares ouvertures aux divers étages, soigneusement grillagées. A l’intérieur, une cour sur laquelle prennent le jour et l’air toutes les pièces de l’habitation. Celles-ci sont nettement divisées en deux parties : l’une, proche de la porte d’entrée, la plus publique, est destinée aux hommes ; l’autre est réservée aux femmes, qui occupent souvent les étages supérieurs, couverts par une terrasse, où, loin des regards, elles jouissent de quelque liberté. Cette disposition était celle des maisons de la Chaldée, de la Perse, de l’Égypte ancienne, Elles apparaissent jusqu’à certain point dans la Grèce antique, où les femmes, sans être clôturées, se mêlaient peu à la vie publique. Dès la fin de la république et le commencement de l’empire, les Romains adoptèrent les arts, l’architecture et les mœurs des Grecs. Eux qui s’étaient longtemps contentés de modestes cabanes, assez semblables à celles des Gaulois, ils se construisirent des demeures décorées d’un péristyle à la grecque qui s’ouvrait sur un vaste atrium et où le gynécée tint une place importante. Mais cependant la partie destinée au public, où le patron pouvait recevoir ses nombreux clients, était plus développée qu’en Grèce. L’architecture byzantine ne change que peu de choses

à ces dispositions romaines.

« On ne rencontre le pittoresque, c’est-à-dire la fantaisie, que dans les demeures du moyen-âge. C’était l’époque où la guerre régnait ; tout le monde tenait à être fortifié. Il en résultait que faute de terrain dans l’intérieur des fortifications, on se trouva obligé d’accroître la hauteur des maisons. Par suite des circonstances économiques, le rez-de-chaussée fut bâti en pierre, les étages supérieurs le furent en bois et s’avancèrent souvent en encorbellement sur la rue. Pour ne rien oublier, signalons les élégantes constructions en bois de la Norvège, de la Suède et de la Suisse, et les isbas des moujiks russes. La Renaissance modifia surtout l’extérieur des maisons. A partir du xviie siècle, l’influence de plus en plus prépondérante de la classe bourgeoise dans la société, éloigna les préoccupations d’art des demeures particulières au profit du confortable. »

« En Chine, au Japon, et dans les pays de l’Extrême Orient, les habitations se distinguent extérieurement par leur mode de construction original. Leur plan intérieur présente généralement un quadrilatère plus ou moins vaste, divisé en un certain nombre de chambres par des cloisons mobiles qui permettent d’agrandir les chambres quand le besoin s’en fait sentir. Là aussi, le maître de maison cherche à s’isoler du contact extérieur… » (Larousse)


Aux diverses périodes, seuls les princes, les seigneurs, les riches, les gens aisés, la bourgeoisie marchande et industrielle ont connu les demeures somptueuses, robustes et vastes, plaisantes et protectrices, bref les habitations les meilleures du temps. Quant aux logements (cabanes, chaumières, galetas), où le peuple fut contraint toujours d’abriter sa vie précaire, ils ont été invariablement un défi au sens commun, à la dignité de l’espèce, à l’équité. Ils sont aujourd’hui encore une insulte permanente à l’hygiène et aux conditions élémentaires de la vie. Cette situation poignante devant laquelle les esprits justes et les cœurs sensibles ne peuvent rester indifférents a, dès le xixe siècle (avant 1789 nul n’en prenait souci, les serfs étant à peine regardés comme des hommes), préoccupé économistes et philanthropes et parfois même les autorités, quand un courant d’opinion en portait l’écho jusqu’aux assemblées. « Après la révolution de 1848, on fit de nombreuses enquêtes sur la situation des ouvriers. Il faut lire les rapports de Villermé, Blanqui, Frégier, Lestiboudois, Kolb-Bernard, Ebrington, H. Robert et Grainger pour se faire une idée des conditions épouvantables dans lesquelles vivait une grande partie de la population ouvrière… Les ouvriers, disaient-ils, surtout dans les grands centres comme Paris, Lyon, Lille, Rouen, Reims, Amiens vivent fréquemment dans des logements non aérés, parfois dans des caves humides, au milieu de véritables foyers pestilentiels et dans des conditions hygiéniques désastreuses. Ceux qui logent à la nuit, dans les garnis, ne sont pas mieux partagés. « Un tiers seulement, disait le rapport du conseil général de salubrité en 1848, est dans des conditions à peu près supportables ; le reste est dans l’état le plus affreux. 40.000 hommes et 6.000 femmes logent, à Paris, dans des maisons meublées qui sont, pour la plupart, de vieilles masures humides, peu aérées, mal tenues, renfermant des chambres garnies de huit ou dix lits pressés les uns contre les autres, et où plusieurs personnes couchent encore dans le même lit. » Les plaintes soulevées par un tel état de choses devinrent telles que, en 1849, l’Assemblée législative, sur l’initiative de M. de Melun, vota la loi du 13 avril 1850, qui s’occupa des logements insalubres (nous y reviendrons tout à l’heure)… En 1852, un décret affecta dix millions à l’amélioration des logements d’ouvriers et une partie de cette somme fut accordée à diverses compagnies de Mar-