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S’il comptait autant de pauvres que de riches dans sa communauté, il y eut autant de pauvres que de riches pour le diffamer et conspirer contre lui.

Quelle pire accusation porter contre lui que celle de magie ? Ne fallait-il pas être un sorcier pour amener de jeunes gentilshommes, des fils de famille, des héritiers d’opulents facteurs à fraterniser avec des loqueteux dont ils se seraient autrement détournés avec dégoût ? C’était à ne pas y croire. Comment expliquer cette fraternité entre des hommes que séparaient des abîmes d’incompatibilité morale, de préjugés sacro-saints, politiques, sociaux, religieux ? Il fallait bien qu’ils fussent la proie d’un charme.

Ce ne fut pas tout. On accusa les Loïstes de se livrer toutes les nuits à des sabbats où, préparés par des prêches, des danses, des hymnes, ils exaltaient la guenille humaine dans tous ces détails, finissant par l’exposer dans ce qu’ils appelaient tous sa triomphale et radieuse nudité. Les armes qui avaient servi contre les Templiers, les Vaudois, les Hommes de l’Intelligence n’étaient point émoussées. Tout ce que peut inventer la malveillance d’une populace grossière, dépourvue de goût et de culture fut attribuée à ces précurseurs : viols, abus de mineurs, infanticides. On trouva des voisins qui affirmèrent que les Loïstes s’employaient jusqu’au matin à chanter, à boire, à des pratiques abominables dont la moindre consistait dans le sacrifice des enfants. Ils étaient couronnés de fleurs, nus comme les mauvais anges et les faux dieux. On les avait vus, au cours de cérémonies luxurieuses, s’agenouiller devant une statuette de Priape.

Doctrine à part, il aurait suffi de moindres accusations pour les conduire au bûcher. Eussent-ils échappé à Marie de Hongrie, la vice-reine des Pays-Bas, que les hommes de Luther, eux, n’auraient pas laissé glisser entre leurs mains ces hommes dont le rêve avait été « d’affranchir la Volupté, l’enfant sublime de l’Âme et de l’Amour ».

Deux incidents de l’histoire des Loïstes nous arrêteront quelques instants.

Le premier est l’abjuration d’Eloi Pruystinck et de neuf de ses compagnons, alors que poursuivis une première fois par l’Inquisition. Georges Eeckoud explique cette attitude en nous dépeignant son héros comme une âme bonne et généreuse, mais nullement héroïque ou stoïque. « Comme les païens, comme les Grecs, Loïet — écrit-il — estimait l’existence terrestre, le bien le plus rare et le plus précieux. Il pensait devoir le défendre et le prolonger coûte que coûte, fût-ce au prix d’une apparente palinodie et d’une attitude humiliante… Il voulait vivre et jouir le plus longtemps possible. Pareille conduite s’accorde avec tout ce qu’il prêcha. Il fut parfaitement logique. Cet apôtre de la joie charnelle n’avait pas les nerfs grossiers qui conviennent aux martyrs, et s’il finit par subir le supplice, la mort lui fut d’autant plus cruelle qu’il n’avait jamais rêvé d’autre ciel que le paradis terrestre »… « Les puritains de toutes confessions sont donc mal venus de jeter la pierre à cet épicurien, parce qu’il céda avant tout à l’instinct de la conservation ».

On peut dire à sa décharge que les peines effroyables dont étaient alors passibles les hérétiques justifiaient l’emploi de la ruse. Son attitude, d’ailleurs, ne porta préjudice à aucun des siens. Une fois la tourmente quelque peu calmée, tous reprirent leur propagande.

Le second incident a trait à l’application même de la doctrine prêchée par Le Couvreur. Il aurait bien admis la polygamie en ce qui le concernait, mais n’aurait pu supposer que son amante préférée, Dillette, entretînt commerce avec d’autres que lui. Eeckhoud, en son livre, établit une distinction entre un point de vue qu’il voudrait être celui de Loïet (lequel, fidèle à sa nature exigeante, avait entretenu un commerce amoureux avec

nombre des affiliées au loïsme), soit donc : l’amour libre facultatif, la communion amoureuse réciproque — et celui de Cousinet (présenté comme le mauvais disciple, le traître) et de son parti, proclamant le communisme charnel obligatoire, général et réciproque, sans que nul ne puisse se refuser au désir qu’il ou elle inspire. On sent le vieil homme se réveiller chez Eloi lorsque Cousinet — son point de vue ayant triomphé — réclame Dillette pour sa compagne d’une nuit. Après une scène déchirante avec son amant bien aimé, la malheureuse se livre, se sacrifiant pour Loïet et le loïsme, puis s’empoisonne.

Sa mort ne sauva ni l’un ni l’autre.

Ce drame est une légende ou se rapporte à un fait démesurément grandi, sans doute. Ce qu’il y a d’établi, ce sont les divisions intestines qui perdirent la secte, à la suite de rivalités personnelles. Le bûcher consuma les plus en vue des Loïstes — dont Eloi Pruystinck (voir note) et Christophe Hérault — les autres s’en allèrent en Hollande, en Angleterre, en Allemagne, plus loin encore, conservant en leur esprit la vision d’un Paradis tangible, palpable, où il leur avait été donné d’habiter quelque temps et d’où ils avaient été chassés non par le glaive de l’Ange exterminateur, mais par les dissensions et l’intolérance orthodoxe et politique. — E. Armand.

Note. — Le 25 octobre 1544. La tradition veut que ses bourreaux se soient acharnés sur lui et que — à l’exemple de Jacques de Molay — au moment de succomber, Loïet ait prédit au chef de ses tourmenteurs, Gislain Géry, que non seulement il mourrait vingt ans plus tard, torturé et mutilé comme lui, de la main de son confrère de Bruxelles, mais que son fils, obligé de lui succéder dans son abominable office, agoniserait plus affreusement encore que lui. La tradition veut que les deux prophéties se soient littéralement accomplies. L’hérésie avait pris un tel développement que les prisons ne suffisaient pas à contenir les « coupables » dont les principaux n’étaient pas toujours brûlés ; c’est ainsi que Davion, Brousseraille, van Hove furent décapités ; enfin, beaucoup furent bannis.


LONGÉVITÉ n. f. (latin longœvitas). C’est là un mot du langage courant qui désigne le fait de vivre vieux, mais la relativité de cette définition saute aux yeux. Si les mots utilisés font illusion, la plupart du temps, il s’en faut de beaucoup que les objets qu’ils désignent soient précis.

Il faudrait pour que longévité ne fût pas un terme de convention, que l’on fût fixé, physiologiquement, sur la durée normale de la vie, tant des animaux et de l’homme, que des végétaux. Or, de même que la vie est un processus inconnu dans son essence et dans son évolution, de même la date de la mort, autrement dit la longévité, est inconnue.

Nous dissertons sur un terrain de pure approximation. On est toujours le longévite de quelqu’un comme on est le brévivite de quelque autre. Il serait vain, du reste, d’attendre plus de précisions. Pourquoi ?

Parce que le processus vital relève dans sa marche de causes multiples dont la variété est infinie et livrée à tous les hasards. Ces causes sont intrinsèques et extrinsèques.

Causes intrinsèques. — Elles sont telles quand elles visent l’élan vital dont l’individu est possesseur en arrivant au monde et qu’il tient de deux autres facteurs : l’hérédité immédiate (la sienne) et l’hérédité éloignée (celle de la race). Longévité est dans un rapport étroit avec le processus de la dégénérescence qui a raison des races les plus vigoureuses, mais dont la fatalité s’étend sur un nombre indéfini de générations selon le déplacement intercurrent des forces de résistance que l’espèce