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et celle-là ; le rompre constitue une faute. Et ils ajoutent qu’au prix du plus petit mensonge il serait criminel de sauver toutes les âmes de l’enfer. Voilà ce qu’on enseigne au peuple et aux enfants. Mais aux grands l’on dit autre chose. Sans doute le mensonge est défendu, affirme le casuiste, mais tromper n’est pas mentir : la parole doit répondre à la pensée, seulement vous pouvez n’exprimer tout haut qu’une partie de la phrase et l’achever pour vous seul, de manière que personne ne l’entende. « Avez-vous vu Pierre tuer Paul ? » vous demandera-t-on. Vous l’avez vu ; pourtant vous pourrez répondre : « Non » sans mentir, à condition d’ajouter intérieurement : « du moins pas pour le dire ». Le prêtre qui vient d’extorquer l’héritage d’une mourante niera ou affirmera ce qui lui convient, en vertu du même principe ; sa conscience restera blanche, immaculée. C’est la restriction mentale, dont l’Église autorise l’usage dans tous les cas, même si l’on prononce un serment ; excepté bien entendu lorsqu’on parle à son confesseur et aux dignitaires ecclésiastiques.

Admirez cette invention machiavélique qui permet d’esquiver la vengeance céleste, sans se priver néanmoins de mentir. Pour marcher dans de pareilles combinaisons, Dieu doit être un bien triste sire ! La raison heureusement ignore les fantaisies criminelles de la théologie. On recherche un homme innocent pour le massacrer, j’estimerai bon d’égarer ses persécuteurs. Mais, au voyageur perdu dans la montagne, je serais coupable d’indiquer un chemin sans issue. Un chef m’interroge, poussé par le désir d’utiliser ce qu’il apprendra contre moi ou contre mes amis, il ne saura point la vérité, n’y ayant nul droit ; je la dirai spontanément au malheureux que l’on trompe par intérêt. Si l’enfer existait, je mentirais avec plaisir pour arracher à leurs tortures les victimes de Jahveh ; et, ce faisant, je m’estimerais moralement supérieur à leur geôlier. Tout homme sensé m’approuvera ! Ainsi, dire ou non la vérité ne devient mauvais ou permis qu’en raison des conséquences et du but ; c’est en fonction d’une norme extrinsèque que chacun apprécie le mensonge. Peut-être les théologiens l’ont-ils compris ; la restriction mentale serait alors un moyen d’adoucir la règle primitive. Pourquoi ne pas reconnaître franchement sa caducité ? Ce serait plus honnête ; mais pour gouverner, prêtres et grands ont besoin d’être renseignés par ceux mêmes qu’ils exploitent. L’action secrète un peu large, voilà leur pire adversaire ; contre elle l’Église se devait de brandir la peine du feu éternel.

À la base de la morale chrétienne, comme de toute morale théiste, gît d’ailleurs une insoluble difficulté. Pourquoi Dieu ordonne-t-il ceci, défend-il cela ? Bien et mal sont-ils une création arbitraire de sa volonté ou, supérieurs à Dieu même, s’imposent-ils à son intellect comme à celui des hommes ? Dans le premier cas vertus et vices dépendent des caprices du vouloir divin. Que Jahveh l’ordonne et tuer ses parents, calomnier, boire jusqu’à l’ivresse, deviendront des actes méritoires. Doctrine monstrueuse, dont l’immoralité révolte, mais qui s’impose si le bien résulte du commandement divin le mal de la défense divine. Dans le second cas Dieu cesse d’être tout-puissant, puisque la loi morale s’impose impérieusement à sa volonté. Et cette loi morale résulte de la nature des choses ; elle subsisterait donc intégralement en l’absence même de Dieu. Si Jahveh ordonne d’aimer ses parents, non parce qu’il le veut arbitrairement, mais parce que la chose est bonne en soi ; cette chose restera bonne en l’absence du vouloir divin. Le rôle du Père Éternel n’est plus que celui du gendarme, veillant sur des trésors qui ne lui appartiennent pas. On voit la naïveté de qui explique tout par l’existence de l’Être suprême, poubelle métaphysique où l’on entasse à plaisir d’incroyables contradictions.

Ne nous étonnons plus si, après avoir condamné théo-

riquement le mensonge (exception faite pour la restriction mentale), l’Église, interprète de Jahveh, le catalogue ensuite parmi les vertus ; sous le nom d’humilité, de modestie, de politesse, etc. Volontiers le croyant s’accuse devant Dieu d’être un pêcheur digne de son courroux ; il se frappe la poitrine et s’écrie : « C’est ma faute, c’est ma très grande faute… pardonnez-moi Jésus. » Mais, dans la litanie des manquements qu’il énumère, il oublie les vices profonds ; il regrette d’avoir négligé la messe, mangé du lard le vendredi, nullement d’avoir volé ses ouvriers s’il est patron, extorqué les économies du pauvre s’il est financier. Infatué de sa personne, le dévot s’estime infiniment supérieur aux mécréants qui l’entourent. « Par moi-même je ne suis rien, dit le curé à ses ouailles, mais, en qualité de représentant de Dieu, il est indispensable que je sois obéi, respecté, que j’occupe toujours et partout la première place. » L’humilité du chrétien vise en général à donner le change sur son orgueil forcené. Comment ne pas se croire un personnage quand on est l’ami de Jésus et qu’une éternité de gloire vous attend ? Même remarque au sujet de la modestie, affectée par les prêtres et les nonnes ; sous des allures de chattemite, elle cache habituellement des désordres profonds. Séminaires et couvents sont des pépinières de choix pour les vices contre nature ; mais la façade peinte en blanc détourne les soupçons. Assurément la politesse a son utilité ; toute vie sociale deviendrait impossible si chacun blessait les autres sans ménagement. Et quel homme n’a rien à se faire pardonner ! Masquer une froide malveillance sous des formules hypocrites est bien différent ! Or de nos jours la politesse consiste trop souvent, à prononcer des phrases que l’esprit ne contresigne pas ; ce n’est plus la manifestation d’une sympathie fraternelle, c’est un moyen commode de tromper son prochain.

Organisations politiques et religieuses, structure sociale et économique reposent sur le mensonge : il serait invraisemblable que les individus puissent échapper à l’emprise universelle de l’hypocrisie. Mais à l’homme d’État, au diplomate, à l’administrateur, au privilégié, on fait un mérite de tromper l’adversaire, de cacher ses desseins, alors qu’on appelle dangereux menteur le prolétaire qui en fait autant. – L. Barbedette.


MENSONGE (et ENFANT). Le jeune enfant ne se soucie pas de communiquer exactement sa pensée et de décrire objectivement les faits. Il distingue mal les produits de son imagination et les réalités et comble inconsciemment les lacunes de sa mémoire par de la fabulation.

Les causes de ses erreurs sont nombreuses, il y a :

1° Les perceptions erronées, les erreurs des sens, qui sont d’autant plus fréquentes que l’individu est plus jeune ;

L’imagination, moins vive que chez l’adulte mais moins bien contrôlée par l’esprit critique ;

3° La suggestibilité, « Montrons-nous circonspects, écrit Jonckheere, en posant des questions, car leur forme peut influencer la réponse et provoquer des erreurs de fait ». Quelqu’un vient de passer ; nous pouvons demander, par exemple : Comment la personne qui vient de passer était-elle coiffée ? La personne qui vient de passer était-elle coiffée ? La personne qui vient de passer était-elle coiffée d’un chapeau ou d’une casquette ? La personne qui est passée tout à l’heure n’avait-elle point un chapeau sur la tête ? Les premières de ces questions n’impliquent aucune suggestion mais il n’en est pas de même de la troisième et surtout de la quatrième.

4° Le manque de développement intellectuel ne permet pas le travail de l’autocritique. Le jeune enfant admet sans difficulté des données contraires.