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car elles signifient, au sens littéral, je suis mort, c’est-à-dire j’ai déjà passé de vie à trépas. Les parents n’attachèrent pas d’abord d’importance à ces mots. Mais, le 1er novembre 1927, un incident significatif se produisit. Voyant sa mère préparer des couronnes funéraires, il demanda pour qui. Le père nomma ses enfants pré-décédés. Et Raoul de dire : « Mais, papa, je suis François. – Non, dit le père, tu es Raoul. – Avant, j’étais François, répondit Raoul, et j’étais grand comme ça. » En disant ces mots il se dressa sur ses pieds et, levant la main, marqua la taille de son frère, qui était très grand. Et il ajouta : « J’ai été très malade, je suis mort, on m’a enterré et après, je suis revenu avec les hommes et je suis maintenant Raoul. » Il mentionna ensuite qu’au moment de sa mort ses parents habitaient une autre maison, dans une autre rue. Quelques jours après, le 7 novembre 1927, Raoul, voyant sur une table un gobelet de poche en aluminium qui avait été donné à François et que son père se disposait à emporter, s’écria : « Papa, tu as donné ce gobelet à François, mais maintenant c’est moi qui suis François, ce gobelet est à moi ; seulement je veux bien te le prêter. » Dans les paroles du petit Raoul, nous retrouvons l’allure ordinaire des histoires qu’enfante si volontiers l’imagination des bambins. Des parents inconsolables ont parlé devant lui du grand frère qui n’était plus ; sur ses goûts, ses objets préférés, les circonstances de sa mort, ils ont donné maints détails que la mémoire de Raoul a enregistrés soigneusement. Et d’instinct, peut-être pour obtenir plus de caresses, peut-être par caprice de l’imaginative ou de l’association des idées, l’enfant a opéré une de ces substitutions de personne que les psychologues connaissent bien. Mêmes remarques concernant le cas de la petite Nelly Horster. « Il y a douze ans, écrivait J.-J. Horster en 1892, j’habitais III, comté d’Effingham. J’y perdis une enfant, Maria, au moment où elle entrait dans la puberté. L’année suivante, j’allais me fixer à Dakota, que je n’ai plus quitté depuis. J’eus, il y a neuf années, une nouvelle fille que nous avons appelée Nellie et qui a persisté obstinément à se nommer Maria, disant que c’était son vrai nom duquel nous l’appelions autrefois. Je retournai dernièrement dans le comté d’Effingham, pour y régler quelques affaires, et j’emmenai Nellie avec moi. Elle reconnut notre ancienne demeure, et bien des personnes qu’elle n’avait jamais vues, mais que ma première fille Maria connaissait fort bien. » Comment peut-on nous servir des histoires d’un merveilleux si frelaté ! Ce que la jeune Nelly n’avait pas vu, elle l’avait entendu décrire ; ses réminiscences d’une vie antérieure n’étaient qu’un écho des conversations tenues par ses parents. De temps en temps, il est vrai, des récits plus corsés circulent, qui obligent le lecteur à crier au prodige. Mais lorsqu’on veut contrôler, aller aux sources, toute certitude s’évanouit généralement. Malgré de nombreuses lettres, Henri Regnault ne put obtenir de renseignements précis sur le petit Édouard Espuglas Cabrera qui, disait-on, gardait un étonnant souvenir de ce qu’il avait fait dans une précédente incarnation. La physiologie est loin d’avoir dit son dernier mot ; bien des forces seront découvertes plus tard que nous ignorons présentement. Dès aujourd’hui, néanmoins, nous sommes certains que la métempsychose est un mythe au même titre que le ciel et l’enfer des chrétiens. Car le suprême et dernier argument que ses partisans allèguent, le souvenir des vies passées provoqué durant l’état d’hypnose, est aussi faible que les précédents. Endormie par de Rochas, qui s’adonna longtemps à des recherches de ce genre, Mme Trinchant narra qu’elle fut jadis une jeune fille arabe, assassinée vers l’âge de vingt ans. Un autre sujet, Henriette, plongé par le même dans l’état somnambulique, revivait en souvenir l’existence de l’évêque

De Belzunce ; encouragés, au moins indirectement, par l’hypnotiseur, bien d’autres ont fait depuis des récits du même genre. Inutilement pour la cause de la réincarnation, car on s’est aperçu qu’il s’agissait, dans tous ces cas de troubles maladifs de la personnalité. L’imagination du sujet et les suggestions de son entourage suffisent à expliquer le roman, parfois très prolixe, débité par certains hypnotisés touchant leurs vies antérieures. Altérations, transformations, dédoublements plus ou moins complets de la personnalité sont des phénomènes bien étudiés par les magnétiseurs. « Cette singulière coutume des somnambules de se dédoubler, écrit Pierre Janet, est très fréquente et a été signalée dès les premières études sur ce sujet. » « Les somnambules parlent d’eux-mêmes à la troisième personne, dit Deleuze, comme si leur individu dans l’état de veille et dans l’état de somnambulisme était deux personnes… Mlle Adélaïde ne convenait jamais de l’identité d’Adélaïde avec Petite, nom qu’elle recevait et se donnait pendant sa manie (somnambulisme), etc. » « Leur esprit de veille et celui du somnambulisme, dit Aubin Gauthier, sont deux choses différentes. » Tous les écrivains du magnétisme animal ont d’ailleurs décrit ce fait, qui est aussi fréquent qu’il est curieux. N… qui se trouvait d’abord changée, prétendit bientôt qu’elle était autre. « Qui étiez-vous donc alors ! » lui ai-je demandé. – « Je ne sais pas… je crois que je suis la malade. »… Lucie, qui restait la même, disait-elle, pendant le premier somnambulisme, change complètement d’avis quand on la met dans le second. Le changement devient probablement trop fort, car elle ne se reconnaît plus ; elle prend alors spontanément un autre nom, celui d’Adrienne. » Qu’un partisan de la réincarnation assiste à l’une de ces crises de dédoublement, qu’il suggère au sujet l’idée d’une existence antérieure et ce dernier, tout naturellement, sans intervention d’une entité de l’au-delà, imaginera mille détails se rapportant à la personnalité dont on l’affubla. En réalité, si la métempsychose a trouvé à notre époque tant de défenseurs, c’est qu’elle prétend justifier les inégalités sociales et laver dieu du crime de barbarie, que les croyants pourraient lui adresser à bon droit. « La logique, écrit Henri Regnault, interdit d’accepter la création par Dieu, infiniment bon, infiniment parfait, infiniment juste, d’êtres qui, venus au monde aussi dissemblables à tous les points de vue, auraient cependant, vis-à-vis de lui, la même responsabilité. Combien ce mystère apparent devient clair si l’on n’admet pour chacun des enfants qui naissent ici-bas, l’existence préalable de vies antérieures. » Et Léon Denis fait sienne la communication médiumnique suivante : « La grande idée de la réincarnation est seule capable de revivifier la société décadente qui est la nôtre. Seule elle peut réfréner cet égoïsme envahissant qui désagrège Famille, Patrie, Société, et qui substitue à la généreuse idée du devoir cette conception féroce d’une individualité qui doit s’affirmer quand même à tout prix. » Après de telles déclarations, nous sommes fixés. Voyant crouler de toutes parts les vieux dogmes chrétiens, quelques partisans de l’exploitation des pauvres par les riches, des sujets par les gouvernants, ont estimé qu’une large diffusion de la croyance aux vies successives remplacerait avantageusement la peur d’un enfer qui paraît très problématique à l’homme qui réfléchit tant soit peu. Dans l’espoir d’être mieux partagé dans une prochaine existence, de faire partie des dirigeants, d’être un génie illustre, un patron redouté, peut-être un prince, un ministre, un roi, le malheureux tâcheron des champs ou de l’usine peinera sans se plaindre pour nos grands féodaux. Et sa situation pitoyable lui semblera un juste châtiment de fautes commises antérieurement. Concevoir un anesthésiant meilleur à l’usage du populaire parait à