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la préparation de la guerre. Le recrutement d’une armée permanente ; l’organisation des cadres d’une armée de réserve ; l’accumulation, la mise, le maintien en état de servir d’un matériel de guerre toujours plus moderne, plus perfectionné, bref, c’est l’organisation préalable de la guerre.

Cette organisation colossale, mise à la disposition des gouvernements, leur permet de poursuivre un double but : pouvoir lutter contre les gouvernements étrangers en cas de conflit entre eux et avoir sous la main un appareil formidable de répression violente en cas de soulèvement populaire. Les gouvernements ont un absolu besoin de l’armée tant contre leurs ennemis de l’extérieur que contre ceux de l’intérieur.

Théoriquement, pour justifier l’existence du militarisme, on dit que son but est la défense nationale, la sauvegarde de l’intégrité du territoire. En réalité, lorsqu’on suit l’histoire de ces derniers temps, et qu’on voit l’armée servir à attaquer les autres pays, à conquérir des colonies, à réprimer les manifestations ouvrières et les grèves, le rôle de l’armée apparaît tout autre : c’est la défense de l’autorité gouvernementale établie qu’elle assure. D’autres articles démontrent le bluff du patriotisme et de la défense nationale (voir ces mots). D’autres établissent que l’État (avec son gouvernement) n’est qu’une institution au service des grandes et puissantes organisations capitalistes : financières, industrielles et commerciales. D’autres encore prouveront que la guerre défensive ou offensive – et qui pourrait faire réellement la distinction ? – ne sont que des chicanes entre divers groupes de capitalistes, chicanes qui se règlent dans le sang des peuples mobilisés.

Contentons-nous de faire voir que le militarisme est l’arme par excellence de domination des gouvernements, que c’est le bras armé qui frappe les ennemis des dits gouvernements, ennemis nationaux ou étrangers.

Les maîtres ont des rivalités d’intérêts avec les maîtres d’autres régions ; ou bien ils ont jeté leur dévolu sur une contrée coloniale incapable de se défendre et contenant des richesses ; ils lancent leur armée ou la nation entière rassemblée dans la bataille pour imposer leurs volontés et en tirer des bénéfices.

D’autres fois, les peuples, à bout de patience et révoltés par une exploitation trop féroce ou une tyrannie trop cruelle, secouent leurs préjugés et leur résignation, et se révoltent. Alors, l’institution policière et judiciaire étant devenue insuffisante pour faire rentrer tout dans l’ordre gouvernemental, on fait intervenir les forces militaires avec leurs moyens puissants et perfectionnés de destruction. Le capitalisme yankee n’a-t-il pas mis en œuvre, dans les grèves, les mitrailleuses et les gaz ?

Ce double objectif du militarisme est nettement visible dans son évolution actuelle.

Le capitalisme, surtout le financier, s’internationalisant, les grands consortiums étant arrivés à conclure des ententes ou à se résorber l’un dans l’autre ; la dernière guerre ayant tellement remué le monde que les intérêts capitalistes s’en sont trouvés menacés, on assiste à ce phénomène : l’internationalisation du capitalisme est suivie parallèlement par une internationalisation des gouvernements. La Société des Nations n’est qu’un essai, encore informe, d’un gouvernement international qui sera le chargé d’affaires des groupes financiers internationaux comme les gouvernements nationaux le sont des groupes capitalistes nationaux. Ces groupes financiers internationaux, qui deviennent de plus en plus puissants, ont des intérêts un peu partout. Une guerre leur serait préjudiciable, tout au moins une guerre entre les nations qui leur sont asservies. Ils tentent de faire disparaître ces sortes de con-

flits, pour ne conserver la guerre que contre les pays qui ne voudraient pas se soumettre à leur puissance. Peu à peu, ainsi, se constitue une sorte de Super— État qui, lorsqu’il sera arrivé à son apogée, fera régner la paix capitaliste, semblable à l’ancienne paix romaine, paix qui signifiera l’asservissement de tous les peuples à quelques groupes financiers reliés par un pacte et donnant des ordres au Super-État. Cette évolution est visible à l’heure actuelle.

D’autre part, une autre évolution se poursuit : celle des méthodes de guerre que la science transforme de jour en jour. Grâce à l’automobile, à la mécanique, à la balistique, aux explosifs nouveaux, à l’aviation, à la T. S. F., aux rayons électriques, aux créations d’une chimie ingénieuse, aux gaz asphyxiants, à la bactériologie, la guerre future se présente sous d’autres aspects que dans le passé. Au lieu de voir manœuvrer d’immenses cohortes, des millions d’hommes mobilisés et armés, suivis d’un matériel lourd et considérable, se précipiter sur d’autres groupes semblables, on verra des escadrilles d’avions survolant le pays ennemi, laissant tomber des obus, des bombes à gaz ou incendiaires sur tous les points vitaux de la région, semant la ruine et la terreur. Pour ce genre de guerre, il suffit d’une petite armée de techniciens, de mercenaires destructeurs pilotant les appareils de mort, et d’une nation travaillant dans les usines pour leur fournir matériel et munitions nécessaires. Le service militaire obligatoire, les grosses armées permanentes, la mobilisation générale sous les armes peuvent disparaître, la guerre ne s’en poursuivra pas moins, et elle restera toujours suspendue sur la tête des peuples comme une épée de Damoclès, mille fois plus meurtrière, plus grosse de ravages étendus, rapides et profonds.

Cette double évolution des méthodes de guerre, et de formation d’un super-État capitaliste, devrait logiquement amener la disparition ou la diminution du militarisme, la réduction des budgets de la guerre, le désarmement même si réellement le militarisme n’avait d’autre but que de garantir la défense nationale.

Il n’en est rien, et c’est ce qui prouve que le militarisme a un autre but, inavoué celui-là : le maintien de l’ordre gouvernemental à l’intérieur, lequel exige de plus en plus des organismes de répression souples et puissants, capables de tenir tête, à l’occasion, aux soulèvements populaires, de briser dès l’aube les révolutions.

Peu à peu, l’armée de conscription fait place à une armée de métier. On enrôle systématiquement des mercenaires (voir ce mot) ; on enrégimente, pour le service de marâtres métropoles, de pauvres bougres de coloniaux. En 1929, on comptait, en France, 326.000 mercenaires, armée formidable et toujours prête à donner main-forte au gouvernement si son existence était menacée. Cette armée mercenaire, augmentée d’une gendarmerie mobile et d’une police toujours renforcée et qui sera bientôt étatisée, c’est-à-dire près de 500.000 hommes bien armés et outillés pour la répression, est plus forte que l’armée de conscription. C’est le plus formidable outil de défense que l’État français ait jamais institué. C’est un militarisme qui retourne à l’ancienne conception de l’armée de métier, colossale gendarmerie dont le rôle sera de tenir le peuple dans l’assujettissement le plus absolu.

Dans les autres pays capitalistes, on constate la même évolution. Elle est la caractéristique du militarisme moderne qui se trouve ainsi orienté vers deux fins : une armée de guerre, relativement peu nombreuse, mais pourvue des moyens les plus scientifiques de destruction ; une garde formidable, dispersée dans tout le pays, chargée de tenir dans l’obéissance la multitude ouvrière.

En résumé, le militarisme évolue avec la constitu-