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dans ces derniers cas, il soit obtenu des guérisons puisque tout est fait pour impressionner les malades, pour les persuader qu’ils vont guérir, etc. ; mais ces cas de guérison n’ont rien de miraculeux et il serait encore préférable pour ces malades d’être soignés dans des établissements de psychothérapie par des médecins capables d’étudier sérieusement leur cas, plutôt que d’aller à l’officine des charlatans de Lourdes… On peut affirmer sans crainte de se tromper que les guérisons, obtenues à Lourdes, de malades de cette catégorie (les malades plus ou moins imaginaires) ne comptent que pour un chiffre infime parmi les réussites proclamées, la plus grande partie, la presque totalité des « guérisons » obtenues étant celles de simulateurs ou de ceux qui entretenaient un mal jusqu’à leur passage à Lourdes ou cachaient une guérison obtenue par les médecins pour la faire proclamer à leur sortie de la fameuse piscine.

Les prétendus miracles de Lourdes, comme tous les miracles d’ailleurs, ne sont qu’astucieuse tromperie. Mais ils servent à entretenir le prestige de l’Église auprès des simples d’esprit… Comme la maladie est une bonne chose à exploiter et qu’il n’y a pire que ceux qui ont la promesse d’un paradis pour avoir peur de la mort, il n’y a pas qu’à Lourdes qu’on obtient des guérisons miraculeuses. Un peu partout il existe des guérisseurs qui, avec des signes de croix, de l’eau bénite et des prières, s’attaquent à toutes les maladies. Nombreux sont encore ceux qui s’adressent à ces gens tout en se faisant soigner, d’autre part, par un médecin. Il est bien entendu que s’il y a guérison, c’est le « toucheux », comme on l’appelle vulgairement, qui l’a obtenue. Et lorsqu’on revient sans être guéri, on ne s’en vante pas, de sorte que ces croyances perdurent longtemps. C’est comme dans une baraque foraine où l’on s’est fait « rouler » ayant payé très cher pour ne rien voir : on ne manque pas de dire en sortant à ceux qui vous demandent des renseignements que c’est « épatant », afin de cacher sa propre déconvenue et de savourer, en compensation, la jobardise des imitateurs.

On constate cependant que malgré les éclaircissements de la science, la tendance à croire au miracle ne recule que très lentement. À peine une croyance « usagée » passe-t-elle au rebut qu’une autre « à la mode » lui est substituée… Il faut dire que presque toutes les superstitions favorisent trop les desseins de la classe dirigeante pour qu’elle ne fasse pas l’impossible pour en assurer la survie ou en faciliter le développement. La croyance a ses vogues, ses courants. Elle se porte comme les fétiches et les amulettes. Et il est de bon ton d’afficher celles que l’opinion consacre. Ne va-t-on pas au pèlerinage à Lourdes ou ailleurs, comme il est à la mode d’aller voir le spirite ou la somnambule ! On se moque de l’Arabe ou du Sénégalais qui se croient perdus s’ils n’ont pas sur eux leur « grigri » porte-bonheur et l’on ne partirait pas en auto sans son fétiche protecteur et sa médaille de Saint Christophe, sauvegarde contre les accidents ! (Que serait-ce donc s’ils n’en avaient pas ?)

La science (nombre de savants du moins qui ont partie liée avec la classe dont ils sont issus) feint de planer au-dessus de ces superstitions puériles. Elle évite, pour diverses raisons, de les attaquer de front. D’abord la bourgeoisie ne tient pas à ce que la science dessille les yeux de ceux qu’elle berne avec tant d’avantages. Ensuite elle préfère s’attacher les sympathies des trafiquants de la crédulité qui opèrent autour de toutes les croyances et tirent influence ou monnaie des miracles de Lourdes, de ceux de la communion ou de l’âme éternelle. Aujourd’hui que tout est commercialisé, où les actes ne sont que des jalons du bénéfice, il est de bonne tactique d’annexer à sa fortune les bonnes dispositions de M. Mercanti, qu’il soit mar-

chand de médailles, de couronnes, de chapelets, d’eau bénite, bazardier ou régaleur public.

La croyance au miracle disparaîtra lorsque les hommes, au lieu de chercher sottement les solutions dans l’invraisemblance, auront la sagesse de réserver leur adhésion jusqu’au jour où les investigations méthodiques d’une science désintéressée auront mis en lumière les vérités explicatives, dont l’absence momentanée favorise de barbares superstitions. — E. .


MIRAGE n. m. (rad. mirer). Ce terme a servi primitivement à désigner une illusion d’optique, fréquente dans les pays plats et chauds tels que les déserts de sable. Elle résulterait d’une inégale réfraction des rayons solaires, due à l’inégal échauffement et densité des couches d’air. Fréquemment les villages d’Égypte, bâtis sur des éminences, semblent, à midi, comme entourés d’une nappe d’eau, dont la surface ondoyante réfléchit, avec le bleu du ciel, l’image renversée des palmiers et des maisons. Parfois le phénomène se complique singulièrement : les objets se déforment, atteignent des dimensions monstrueuses et paraissent courir dans tous les sens. Rien d’étonnant donc que le mot mirage soit devenu synonyme d’illusion dans le langage ordinaire, surtout lorsqu’il s’agit d’illusions ayant leur source dans l’observation. Or, les tromperies, inhérentes à notre constitution organique ou mentale, à notre mode de perception, soit des phénomènes conscients soit du monde extérieur, sont singulièrement importantes et nombreuses. « Notre esprit n’est pas un miroir où l’univers se reflète avec une passive fidélité ; comme les glaces déformantes, il modifie ce qu’il représente d’après les lois de sa complexion. Autant que de l’objet perçu les sensations dépendent de l’objet qui perçoit ; lunettes noires ou bleues donnent aux choses, quand on les porte, une teinte qu’elles n’ont pas ; une maladie de foie suffit, pareillement, pour que tout devienne jaune. De l’espace, l’insecte minuscule possède une notion qui n’est point celle de l’éléphant ; le premier estime incommensurable ce que le second juge étroit. Et nous trouvons énormes dans l’enfance, des hauteurs et des distances qui paraîtront médiocres plus tard. Nuance et vivacité d’une sensation dépendent tant de celles qui la précèdent que de celles qui l’accompagnent ; peintres, musiciens, tailleurs aussi et cuisiniers le savent ; la température qui semble chaude, si l’on sort d’une pièce froide, sera crue froide, si l’on sort d’une chambre surchauffée. Entre nos perceptions et les causes extérieures qui les provoquent, aucune ressemblance, le physicien s’en porte garant ; hors de nous les sons se réduisent à des ondes, les couleurs à des vibrations ; sensations acoustiques ou lumineuses rappellent si peu les mouvements qui les engendrent, qu’on attendit des siècles avant de soupçonner que notes de la gamme ou teintes de l’arc-en-ciel n’étaient séparées que par des modalités quantitatives ; ignorants et sauvages continuent de croire distincts, radicalement, des couleurs ou des sons qui résultent d’une même excitation fondamentale. Et une cause identique produit des sensations dissemblables, si les organes, soit périphériques, soit centraux, viennent à être modifiés : l’œil atteint de daltonisme perçoit vert ce qui paraît rouge à l’œil ordinaire ». (Face à l’Éternité). Il existe encore des mirages d’un autre ordre, non moins nombreux, non moins décevants, ceux qu’engendrent nos désirs, nos besoins, nos affections. On est tout disposé à croire ce que l’on désire ; comme la haine, l’amour est aveugle. Et le bonheur, que nous poursuivons invinciblement, qui s’avère la fin suprême de toute activité réfléchie, engendre, lui aussi, plus d’une illusion. « Le bonheur est un but pour l’homme ; pour la nature il n’est qu’un signe, un appât peut-être, tendu tel celui d’un pêcheur au poisson. Quoi de plus décevant que sa