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qui, oubliant sa première origine, se muera en religion universaliste ; bientôt les résultats obtenus permettront toutes les espérances et l’esprit de prosélytisme deviendra l’une des caractéristiques de la nouvelle secte partie à la conquête du monde gréco-romain. À cette époque chaque fidèle se doublait d’un apôtre ; il y avait pourrait-on dire autant de missionnaires que de chrétiens.

Après la conversion de Constantin, lorsque l’Église devenue maîtresse se gorgea sans retenue de tous les biens terrestres, le zèle des propagandistes se ralentit naturellement. Lois, tribunaux, force armée étant à la disposition des prêtres, ceux-ci utilisèrent la violence de préférence à la persuasion, pour convertir les sujets, restés infidèles, des très chrétiens empereurs. Avec les barbares, qu’ils ne pouvaient menacer du préteur et des bourreaux, ils devront néanmoins procéder différemment ; alors se précisa le rôle particulier dévolu aux missionnaires, chargés de prêcher l’Évangile dans les pays où l’Église n’avait pour elle ni la faveur du peuple ni celle des souverains. Ce fut l’arianisme, exclu de l’empire, qui pénétra le premier chez les Germains, vers le milieu du ive siècle ; parmi ses principaux propagateurs, il convient de citer l’évêque Ulphilas qui traduisit la Bible dans la langue des Goths. Vendales, Burgondes, Wisigoths étaient déjà ariens lorsqu’ils pénétrèrent sur les terres de l’Empire ; seuls les Francs, les Saxons et les Angles, restés plus longtemps païens, se convertirent directement au catholicisme. Clovis, chef fourbe et cruel, fit baptiser d’office ses guerriers francs, afin de gagner la bienveillance de l’épiscopat gaulois. À la fin du vie siècle, le moine Augustin et ses compagnons, envoyés de Rome par Grégoire le Grand, réussirent avec l’appui de la reine Berthe à convertir les Anglo-Saxons. Très adroitement les papes et les évêques utilisèrent les princesses pour aboutir à leurs fins ; on sait le rôle joué par Hélène près de Constantin, par Clotilde près de Clovis ; c’est Théodelinde, l’épouse du roi Agilufe, qui fit disparaître l’arianisme du royaume lombard ; c’est Ingonde, la femme du malheureux Hermenégilde, qui prépara le retour des Wisigoths à l’orthodoxie romaine. Et Brunehaut, la sinistre reine d’Austrasie, reçut du pape Saint Grégoire le Grand de nombreuses lettres de félicitations pour la manière dont elle élevait ses enfants et gouvernait ses États. À cette ardente catholique il envoyait souvent des livres et des reliques, ne cessant de répéter, à qui voulait l’entendre, que les Francs devaient s’estimer heureux d’avoir une pareille souveraine. Mais l’Irlandais Colomban, fondateur du monastère de Luxeuil et qui devait mourir à Bobio, en Italie, après de multiples pérégrinations, ne s’étant pas trouvé du même avis et ayant parlé de Brunehaut sans ménagement, dut fuir pour échapper à la vengeance de cette implacable furie. Au viiie siècle, l’Anglo-Saxon Boniface évangélisa la Germanie ; il mourut en 755, assassiné par les Frisons. Au IXème siècle, les missionnaires poussèrent jusqu’en Danemark et en Suède, en même temps qu’ils étendaient leur action sur les bords du Danube. Conjointement avec Cyrille qui traduisit la Bible en langue slave, Méthode évangélisa la Bulgarie, puis il passa en Bohème, d’où le christianisme, gagnera la Pologne et la Hongrie, à la fin du siècle suivant. En 983, le chef russe Wladimir se convertit sous l’influence de sa grand-mère, la princesse Olga. Quant à l’Irlande, elle dut à Patrice d’être chrétienne dès le ve siècle. De leur côté, les Nestoriens de Perse envoyèrent des missionnaires en Tartarie et en Chine, vers la fin du VIème siècle ; l’œuvre qu’ils accomplirent fut importante mais peu durable.

Déjà, les anciens ordres religieux avaient permis aux dignitaires ecclésiastiques de recruter, à bon compte, les missionnaires dont ils avaient besoin. Les moines

irlandais et les bénédictins affectionnèrent la prédication en terre lointaine, du moins tant qu’une corruption effrénée ne s’installa pas à demeure dans la majorité des couvents. Sur l’orgie monastique, Saint Ber nard a écrit des pages que nos journaux de gauche, toujours soucieux de respecter la religion à ce qu’ils disent, refuseraient d’imprimer. La fondation des ordres mendiants, franciscains et dominicains, au xiie siècle, fournit au pape des serviteurs fanatiques et bénévoles, qui remplacèrent avantageusement les bénédictins défaillants. Sans négliger les missions lointaines, ils s’adonnèrent particulièrement à ce que l’on dénomme aujourd’hui les missions intérieures, s’efforçant de ranimer le zèle des chrétiens attiédis, prêchant, confessant, dénonçant aussi aux rigueurs de l’autorité civile les fidèles suspects d’hérésie. Cette dernière besogne fut chère aux dominicains, ces infatigables pourvoyeurs des bûchers de l’Inquisition. Mais, à leur tour, les ordres mendiants sombreront, soit dans les excès d’un mysticisme délirant, soit dans la paresse et la goinfrerie.

Au xvie siècle, la création des Jésuites donna un regain de vie aux missions catholiques. François Xavier, l’un des premiers compagnons d’Ignace de Loyola, évangélisa l’Extrême-Orient ; d’autres jésuites iront vers l’Amérique, si cruellement traitée par les Espagnols, et s’installeront en maîtres dans le Paraguay, doté par eux d’une organisation économique souvent rappelée par nos socialistes. Toutefois l’affaire des rites chinois, un peu plus tard, montrera que les disciples d’Ignace faisaient bon marché des dogmes et de l’autorité épiscopale, dans les régions malaisément accessibles aux occidentaux, quand ils en tiraient richesses et profits. En Europe, par contre, ils se donnaient pour les champions d’une stricte orthodoxie, luttant sans merci contre le protestantisme et pour le triomphe des orgueilleuses prétentions du pontife romain.

Afin de centraliser les résultats obtenus par les missionnaires et de leur imposer les vues que lui dictait son ambition, Grégoire XV fonda en 1622 la Congrégation de la propagande, de propaganda fide. Cette institution subsiste toujours ; elle est devenue l’un des rouages essentiels de l’administration papale. Plusieurs cardinaux la dirigent, assistés d’un personnel nombreux ; elle dispose de ressources formidables, l’or drainé dans l’univers entier, sous prétexte de missions, aboutissant à ses coffres-forts. De là partent des instructions impératives à destination des pays les plus reculés, car, pour les bureaucrates du Vatican, le monde catholique n’est qu’un vaste échiquier dont ils manœuvrent les pions au gré des intérêts politiques et financiers du saint-père. La Congrégation de la Propagande possède une imprimerie capable d’éditer des livres et brochures dans plus de cinquante langues ; pour avoir des fonctionnaires dociles, elle a fait construire un collège où sont formés de futurs missionnaires. Un décret de Clément XI, en 1707, obligea d’ailleurs les supérieurs d’ordres religieux à destiner un certain nombre de leurs sujets aux missions lointaines. Aussi toutes les congrégations quelque peu importantes d’hommes et même de femmes possèdent-elles des succursales dans les pays qui échappent à la domination du catholicisme romain. Les Lazaristes, dont la création remonte à Vincent de Paul, puis le Séminaire des Missions Étrangères de Paris, qui date de 1663, donnèrent une impulsion nouvelle à l’œuvre des missions. De nombreuses congrégations, nées depuis, surtout au xixe siècle ont associé leurs efforts à ceux des ordres anciens : Rédemptoristes, Marianites, Maristes, Picpusiens, Oblats de Marie, Assomptionistes, Salésiens, Pères du Saint-Esprit, Pères Blancs, etc. D’abondants subsides leur sont fournis par l’œuvre de la Propaga-