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MOR
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comme c’est l’usage quand les envoyés du ciel s’adressent aux fondateurs de religions, que, lui, Joseph Smtih, avait été choisi par Dieu pour accomplir une œuvre immense et que son nom serait répandu par toute la terre, pour être exalté par les uns, méprisé et haï par les autres ; il ajouta que dans un certain lieu de l’état de New-York se trouvait un livre consistant en plaques d’or sur lesquelles étaient gravées l’histoire des premiers habitants du nouveau continent et leur origine et que près de ce livre se trouvaient deux pierres encerclées d’argent, l’urim et le thummim, qui n’étaient autres que le pectoral du grand prêtre des Juifs, et qui feraient de lui un voyant, lui permettant de déchiffrer la langue en laquelle était écrit le livre en question. Avant de s’en aller dans les sphères supérieures, par un chemin ressemblant à « un conduit » ménagé dans l’atmosphère et, cela va sans dire, après avoir récité un chapelet de citations bibliques, Moroni enjoignit à Smith de ne montrer le livre et les pierres à personne, exception faite pour ceux à qui on lui ordonnerait de les communiquer. Moroni revint deux fois et avertit le prophète que Satan le pousserait à déterrer les plaques prématurément.

Cet ange connaissait bien la nature des hommes, car Joseph Smith n’eût rien de plus pressé que de raconter sa vision à son père, membre de l’église presbytérienne. Le digne homme fut d’avis de ne pas attendre plus longtemps pour se rendre compte de l’exactitude du récit du messager céleste. Moroni avait si bien indiqué l’endroit du dépôt sacré que c’est sans peine aucune que le prophète découvrit la boîte renfermant les plaques, les plaques elles-mêmes et les précieuses pierres. Il ne se proposait rien moins que d’emporter le tout, mais Moroni apparut de derechef et lui ordonna d’attendre encore quatre ans… Joseph Smith ne sut pas tenir sa langue. On commença, dans son milieu, à parler de ses visions et à lui rendre la vie insupportable, ce qui l’obligea, lorsqu’il eût déterré les fameuses plaques (le 22 septembre 1827), à émigrer en Pennsylvanie, ses frais de voyage étant en partie couverts par un certain fermier du nom de Martin Harris.

Qu’y avait-il donc sur ces plaques dont Moroni, de la part de Dieu, a réclamé plus tard la restitution (ainsi que de l’urim et du thummim) ? Des caractères que Smith disait être de « l’égyptien réformé ». Une copie en a été présentée au professeur Charles Ashton de New-York, il y a démêlé de l’égyptien, du chaldaïque, de l’assyrien, de l’arabe et a rédigé un certificat en ce sens ? Comment le semi-illettré qu’était Smith a-t-il pu comprendre quelque chose à cet amalgame ? La traduction s’en opérait d’ailleurs de façon mystérieuse : un rideau séparait Smith et les plaques du traducteur, que ce fût Martin Harris ou Olivier Cowdery, lequel écrivait sous la dictée du prophète… Trois hommes : Cowdery, Whitmer et Martin ont certifié avoir été témoins d’une apparition angélique, avoir vu les plaques et distingué les caractères qui y étaient gravés. Ils ont cessé de faire partie de l’église mormone, ils ne se sont jamais démentis, même à leur lit de mort… Au cours de la traduction, « Jean Baptiste » apparut, dans les bois, à Smith et à Cowdery, qui était un maître d’école ; il leur conféra la prêtrise aaronique et leur ordonna de se baptiser l’un l’autre.

C’est la traduction de ces plaques qui constitue Le livre de Mormon : il est mortellement ennuyeux et rédigé en un style tendant visiblement à pasticher celui de la version ordinaire de la Bible anglaise. Il narre qu’un certain Lehi, un israélite selon le cœur de l’Éternel, fut prévenu, par une vision céleste, des malheurs qui allaient fondre sur son peuple ; il quitta alors la Judée et, nouveau Noé, s’en fut avec les siens en Amérique, qu’il découvrit le premier parmi les Blancs.

Lehi fit souche dans le Nouveau-Monde, jusque là

inhabité et désertique. Il vécut très vieux. Lui mort, ses descendants se partagèrent en deux rameaux, issus de ses deux fils : Laman et Nephi. Les Lamanites se mirent à adorer les idoles et à faire le mal et Dieu les en punit… en bronzant leur peau : ce sont les ancêtres des Peaux-Rouges. Les Néphites restèrent au contraire fidèles à la foi judaïque : ils devinrent même des chrétiens avant la lettre, ayant su, par la grâce de l’esprit, interpréter comme il convient, les prophètes et les prophéties. Après sa crucifixion, Jésus apparut en Amérique, institua douze apôtres et la majeure partie du peuple se convertit. Les Lamanites refusèrent finalement d’embrasser le christianisme et guerroyèrent sans cesse contre les Néphites qui finirent – et leur foi avec eux – par être à peu près anéantis, non sans que Mormon, leur dernier grand chef, ait pu écrire la chronique de leurs faits et gestes et l’enterrer dans le sol. Quant à Moroni, c’était le fils de Mormon, resté chrétien malgré tout, « errant de lieu en lieu pour sauver sa vie » ; c’était lui qui avait conversé, sous une forme incorruptible, avec Joseph Smith. Le reste des Néphites était retourné à la barbarie, reniant le Christ et allant jusqu’à faire prisonnières les filles des Lamanites, les violer, les torturer et les dévorer. Ceci était censé se passer en 400 après J.-C.

Les critiques du Mormonisme racontent qu’un pasteur du nom de Salomon Spaulding, devenu plus tard commerçant, avait écrit, en 1809, un roman où il assignait aux indiens d’Amérique une origine fabuleuse, reposant probablement sur des analogies entre certains symboles chrétiens (la croix, etc.), et des découvertes archéologiques faites chez les anciens Aztèques. Dans ce roman fondé sur l’idée légendaire, déjà exprimée par certains, que les Peaux-Rouges étaient les descendants des dix tribus perdues d’Israël, apparaissent les noms de Mormon et de son fils Moroni. Spaulding avait remis son manuscrit à un libraire de Pittsburgh du nom de Paterson, en lui donnant comme titre The Manuscript Found (le manuscrit découvert) mais il mourut avant de passer contrat avec ce libraire. Ce Paterson prêta le manuscrit à un de ses compositeurs nommé Stanley Rigdon, qui en prit copie et communiqua cette copie, assure-t-on, à Joseph Smith, dont il devint par la suite, l’un des principaux disciples. Ce fait a toujours constitué une charge contre le prophète, bien que les Mormons aient toujours nié les analogies existant entre l’histoire de Spaulding et le livre de Mormon, Le roman de Spaulding est même en vente à Salt Lake City, mais comme le manuscrit a été égaré puis retrouvé, on ne sait s’il s’agit de l’original exact.

Bref, le 6 avril 1830, à La Fayette, dans l’État de New-York, Joseph Smith fonda l’église des Saints du Dernier Jour – Latter day Saints Church – qui est la dénomination officielle de l’église mormone, ce dernier nom leur ayant été attribué dans un sens dérisoire. Mais l’ambiance était hostile. L’année suivante, Joseph Smith conduisit ses disciples, nombrant quelques centaines, à Kirtland dans l’État d’Ohio, qui devint la capitale de la Nouvelle Église. On y érigea un temple, et Élie et Élisée y « apparurent » à Joseph Smith et à Oliver Cowdery.

À partir de ce moment, Joseph Smith et « les Saints du dernier jour » sont en butte à toutes les persécutions imaginables. En juillet 1831, Smith fonde une ville, la Nouvelle-Sion, dans un lieu appelé Indépendance, situé dans le Missouri, état nouvellement créé. Il y lance même un journal : « The Evening Morning Star ». Sion est mise à sac, la presse détruite et il faut aller ailleurs. Partout où les Mormons s’établissent, on les attaque, on dévaste et on incendie leurs maisons, on outrage leurs compagnes, on les lynche ; Boggs, le gouverneur du Missouri, donne même l’ordre d’exterminer les malheureux et des milliers de volontaires sont levés pour en finir avec la maudite