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MOR
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d’efforts, prouve l’absurdité de l’immortalité de l’âme et démontre que sa seule réalité ne peut-être qu’une synthèse de la fonction vitale, modifiable et périssable comme elle.

L’origine de la croyance en la survivance remonte probablement aux premiers essais de compréhension et d’explications des rêves, du sommeil, des évanouissements, des morts sans lésions apparentes, etc., etc. ; explications unissant et confondant les diverses ressemblances de la vie et de la mort, sans possibilité de fixer la frontière où commence l’imagination et où finit la réalité.

Peut-on correctement parler de vie et de mort en désignant tous les phénomènes de l’univers ? Il ne le semble pas car la nécessité de distinguer les phénomènes entre eux, pour ne point les confondre, nous oblige à reconnaître les différences qui les séparent et les caractérisent. Or, le phénomène vital tel que nous le connaissons objectivement, se différencie des autres phénomènes par la propriété que possède la substance, dite vivante, de reproduire de la substance identique à la sienne dès qu’elle peut agir sur d’autres substances ; tandis que les autres combinaisons physico-chimiques dans leurs réactions réciproques perdent leurs caractères particuliers, se détruisent pour former de nouvelles combinaisons.

Autrement dit, la vie est un mouvement conquérant qui se différencie de tous les autres mouvements en ce sens qu’il persiste dans toutes ses réactions et tend à convertir à son rythme propre toute substance susceptible d’être assimilée. La durée la caractérise également, car, tandis que chaque réaction nouvelle efface de la matière non vivante les effets des réactions précédentes, ne laissant subsister qu’une mémoire primitive et empêchant tout souvenir complexe de se coordonner dans le temps, la matière vivante conserve les empreintes successives de ses réactions, et son rythme propre, coordonnant tous ses souvenirs, construit une sorte de recueil des événements subis dans le temps, et qui constitue la durée.

Il ne saurait donc être réellement question de vie et de mort cosmique autrement qu’en un langage figuré.

La vie, avons-nous dit, est un système conquérant. C’est ainsi que si les trois mille générations d’infusoires cultivés par Woodruff pendant cinq ans avaient pu se développer intégralement sans causes destructives, ni manque d’aliments, le volume de protoplasma ainsi formé aurait égalé dix mille fois celui de la terre. Mais ce système conquérant se heurte à d’autres mouvements ou à d’autres systèmes qui le limitent ou le détruise sans cesse, créant ces états transitoires, que nous apprécions relativement à notre propre durée et que nous dénommons équilibre et harmonie, ou cataclysme et chaos, selon qu’ils s’effectuent à notre échelle dynamique ou hors de notre rythme vital.

Notre compréhension, déterminée par notre durée appelle donc harmonie tous les mouvements qui ne détruisent point notre vie et comme celle-ci n’est possible précisément, que parce que ces mouvements l’ont créée, nous voyons que tant qu’un être est vivant, tant qu’il dure, et qu’il se meut dans un monde qui dure, il peut croire a un finalisme accordant toute chose dans l’univers. Sa mort lui ôtant toute possibilité de constater les éternels et chaotiques recommencements et la fragilité, transitoire de son moi, il vit et meurt après s’être construit un concept des choses proportionné au seul aspect de l’univers connu, ou des représentations plus ou moins exactes qu’il s’en fait.

Comme la connaissance humaine est essentiellement sensorielle et que tout mouvement trop rapide ou trop lent, tout phénomène d’une durée trop grande ou trop petite n’affecte point nos sens, nous ignorons le mécanisme

intime de la substance ainsi que le mécanisme total de l’univers. Nous ne connaissons que des synthèses extrêmement compliquées et nullement les éléments analytiques les composant.

C’est ainsi que nous ne connaissons de la vie que quelques effets, qu’il nous est très difficile de dire analytiquement pourquoi elle est conservatrice et conquérante et que nous ne pouvons de même connaître réellement la mort que par ses effets : la fin de l’assimilation, la destruction du système conquérant, la désagrégation de sa substance et de tout ce qui constituait son acquis, sa mémoire, sa durée, ses réactions, etc., etc.

Il semblerait au premier abord, que la mort, ou fin d’un système conquérant, fût une chose toute naturelle puisque tout évolue dans l’univers et qu’aucun système n’y dure éternellement. C’est en abondant dans ce sens que l’on dit habituellement que la vie crée de la mort, et que la mort crée de la vie. Le tout en des cycles sans fin. Un examen plus méthodique nous montre qu’il n’en est rien, que la mort n’est nullement la conséquence de la vie et qu’elle en est même l’opposé. En effet, les systèmes conquérants sont formés de matières protoplasmiques limitées actuellement sur la terre et ils se conquièrent les uns les autres en se détruisant mutuellement ; mais il est bien évident que la première matière protoplasmique elle-même a été formée de substance non vivante et que, par conséquent, la lutte du vivant contre le vivant n’a pas toujours eu lieu. La vie n’est donc point sortie de la mort mais du non-vivant, ce qui est tout autre chose. La mort ne peut d’ailleurs en aucun cas donner de la vie. La vie vient d’un vivant et non d’un mort. Celui-ci ne donne que des matériaux à des êtres vivants issus d’un vivant et non issus d’un mort.

Il serait donc très important, de rechercher si les causes de mort sont d’ordre biologique ou d’ordre physico-chimique. Dans le premier cas, les systèmes conquérants disparaîtraient par destruction mutuelle. Dans le deuxième, ils seraient détruits par le fonctionnement même de l’univers. Si la première hypothèse est exacte, l’homme peut entreprendre la lutte contre les êtres hostiles à sa durée et reculer, sinon supprimer la mort. Si la deuxième est seule vraie, tout espoir de triomphe de l’humanité sur les forces aveugles de la nature est à rejeter définitivement.



Les hypothèses sur les causes déterminant la mort sont assez nombreuses, car de tout temps l’homme a cherché à en pénétrer le secret pour prolonger sa vie mais ce n’est guère qu’avec la méthode scientifique que ces hypothèses ont pris un caractère plus positif par la multiplication des expériences et des observations.

La reproduction des êtres s’effectuant par de simples cellules formées en chaque reproducteur et transmettant, de génération en génération, ce pouvoir générateur inépuisable, il semble que l’immortalité soit par cela même, un fait évident. L’observation de la cellule libre ne nous montre point d’exemples de sénilité et de mort ; et les petits animaux unicellulaires microscopiques se reproduisant éternellement par simple division, ne paraissent point soumis aux causes destructives physico-chimiques. Certes comme dans toute cellule vivante il y a déchets de fonctionnement, désassimilation, perte d’énergie, rayonnement, etc…, mais l’assimilation répare précisément tout cela, puisqu’il y a finalement augmentation de volume, puis division et pullulement.

Maupas, qui les étudia il y a une quarantaine d’années, crut, qu’à moins de conjugaisons entre eux, il y avait réellement sénilité et mort au bout de trois cents générations environ. D’autres biologistes le crurent également, mais Woodruff reprit en 1907 ces mêmes