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gredins, mais peut-être encore plus pour demeurer impassibles devant l’incompréhension et l’hostilité irréfléchie d’hommes, qui étaient plus près d’eux que de leurs ennemis par leur talent et leur esprit, et qui auraient dû les comprendre et les défendre. C’est ainsi qu’à la suite de la publication de La Terre, cinq des amis de Zola l’accusèrent, dans un manifeste paru au Figaro du 18 août 1887, d’être « descendu au fond de l’immondice » et déclarèrent repousser l’homme qu’ils avaient « trop fervemment aimé » !… Zola, avec une belle santé et une parfaite quiétude, avalait ce qu’il appelait son « crapaud quotidien ». Il écrivait sur ce crapaud — identifiant bien à tort ses ennemis à une bien innocente bête — : « Ah ! vous ne savez pas quelle belle vigueur il m’apporte depuis qu’il est entré dans ma vie ! Jamais je ne travaille mieux que lorsqu’il est plus particulièrement hideux et qu’il sue davantage le poison. Un vrai coup de fouet dans tout mon être cérébral, une poussée qui me remonte, qui me fait m’asseoir passionnément à ma table de travail avec le furieux désir d’avoir du génie !… Je lui dois certainement la flamme des meilleures pages que j’ai écrites. » Un Courbet pouvait-il, sans éclater de rire, se voir appelé « Grosse Courge » par un ruminant apoplectique comme M. Sarcey ? Et n’était-ce pas pour Zola un véritable honneur, plus enviable que cette « légion d’honneur » dont on le jugeait indigne, que d’être traité de « sale juif ! » par un Drummont ou un Arthur Meyer, de « Traître ! » par un Estherazy ou un Mercier, de « Grand Fécal ! » par un Léon Daudet ou un Maurras, d’entendre hurler contre lui, comme un Christ aux outrages, les meutes nationalistes et de recevoir leurs crachats ? Car, derrière l’opposition anti-naturaliste déchaînée contre Courbet et Zola, c’était tout le prétendu idéalisme, si bassement réa liste dans la poursuite de ses intérêts, dans la satisfaction de ses appétits, dans l’étalage de son puffisme, de toute la réaction conservatrice, capitaliste, militaire et cléricale, qui se manifestait. D’abord de caractère artistique, l’opposition prit son véritable visage contre Courbet, à l’occasion de la Commune, contre Zola, à propos de l’affaire Dreyfus. On ne put plus douter des mobiles qui la guidaient. Toujours, le naturalisme a eu contre lui les falsificateurs de la vie et les exploiteurs de l’humanité.

Selon les caractères et les tempéraments de ses représentants, le Naturalisme eut des aspects divers. Si l’on s’en tient à la véritable littérature, en écartant la putréfaction du réalisme exhibitionniste exploité par des Alphonse n’ayant pas même l’excuse de savoir écrire, ses deux pôles sont : d’un côté Maupassant et l’autre Huysmans. Entre-eux, les Goncourt, A Daudet, Zola, C. Lemonnier, Mirbeau, J. Renard, Courteline, Ch.L. Philippe, l’enrichirent d’œuvres fortement originales. Maupassant a écrit, comme nous l’avons vu, la formule littéraire la plus parfaite du naturalisme ; il lui a apporté, en même temps, un style vigoureux, clair, remarquablement soigné, selon l’enseignement de ses maîtres Bouilhet et Flaubert, et supérieurement approprié. Maupassant n’a pas animé les grands ensembles de Zola et donné un caractère collectif à l’individuel placé dans son cadre professionnel ou dans sa classe. Il n’a pas, non plus, dégagé par des types généraux le social de l’humain de plus en plus emporté, amalgamé, dépouillé de toute individualité par la mécanisation. Bel Ami, par exemple, est un type fort répandu ; mais il conserve une personnalité que n’a pas Coupeau, confondu dans le troupeau anonyme des alcooliques. Maupassant a vu plus profondément l’humain dans le particulier, et il en a fait l’analyse ; Zola l’a observé dans la foule, et à en a donné la synthèse. En même temps Maupassant a exprimé la joie de vivre, la joie charnelle, la joie physique qui ne se rassasie pas de tous les dons de la terre et du soleil et qui fait le fond du robuste et sain optimisme naturaliste.

Chez Huysmans, le Naturalisme eut un tout autre aspect. Au débordement éclatant de la vie, des instincts et des passions se heurtant avec une violence animale et une franche amoralité, Huysmans substitua la recherche du maladif, du taré, du compliqué, de l’anormal, du hors-nature et du contre-nature qui n’en sont pas moins dans la nature. Celle-ci n’intéressa Huysmans que « débile et navrée » ; il la montra telle dans ses premiers romans. Les êtres et les paysages y participent de cette désolation. C’est ainsi qu’il la dépeignit encore dans l’artificiel où il voyait « la marque distinctive du génie de l’homme » ; lorsqu’il chercha le surnaturel, ce fut dans le satanisme qu’il le trouva, Ayant adopté le catholicisme, il ne vit en lui que la souffrance, la douleur, la laideur. Nul plus que lui n’a senti, nul n’a mieux dépeint, le vide et la fausseté de l’art religieux, nul ne s’est moins laissé prendre à la fantasmagorie de sa mise en scène et n’a jugé avec plus de mépris les boutiques de la « bondieuserie ». L’optimisme qui trouve dans la nature et dans l’homme la source de tous les espoirs et de tous les perfectionnements, s’est vu opposer par lui le pessimisme d’un croyant qui n’a pas même confiance dans la justice de l’au-delà auquel il aspire. Il a fini dans la désolation mystique comme il avait commencé dans la désolation réaliste. Pour le service de ce naturalisme bien spécial, Huysmans s’était fait un style tout particulier, rigoureusement personnel, supérieurement artiste, mais aussi compliqué et recherché que celui de Maupassant était simple et clair. Si tous deux détestaient le « lieu commun », Maupassant savait le rejeter avec une aisance naturelle. Huysmans s’appliquait à l’éviter par l’emploi du mot rare, de la forme archaïque et parfois tarabiscotée, mais toujours imagée, forte et juste. Quand on considère la littérature décadente qu’à produite l’imitation de Huysmans et qu’a alimentée la névrose anarcho-catholique de la fin du xixe siècle, on se demande si Huysmans n’a pas voulu mystifier ses confrères pour qui il n’avait aucune sympathie, et ces « christicoles » qu’il détestait pour leur pharisaïsme et leur esthétique de « marchands de saindoux ». Dans le monde catholique, Huysmans a été un aristocrate de l’esprit, un artiste sincère et véridique qui a scandalisé le troupeau de la « bondieusarderie » spirituelle et mercantile ; il a eu une clairvoyance trop savante et trop subtile pour les grossiers usuriers du divin et les escrocs de l’aveugle simplicité à qui le ciel est promis ; Son ascétisme sincère ne prêchait pas l’abstinence en chaire pour pratiquer la gloutonnerie à table. Aussi fut-il suspect à tous, comme le sont tous ceux qui disent la vérité à l’Eglise et à ses gens, depuis Veuillot qui lui faisait « assavoir dans l’Univers que l’écrivain qui ne pense pas comme tout le monde est un monstre d’orgueil », jusqu’aux beaux esprits ecclésiastiques qu’inquiétait une conversion qui « tenait », en passant par tous les ignorantins pour qui la bêtise est la meilleure voie de la grâce. Mais même converti, Huysmans restait naturaliste, écrivant des choses comme ceci : « Les Feuillet ont fait plus de mal, selon moi, que tous les Zola. L’inconnu de l’amour tel que le présentent les romans spiritualistes, est un tremplin de rêvasseries romanesques qui les fêle. J’ai vu cela. La gaze est un excitant. Elle cache le fruit défendu que l’on cherche et ça tourne à l’obsession qui n’existerait pas si l’on montrait les choses tout uniment. » Et il se moquait des « bons apôtres » qui signalaient ses livres à l’Index « pour avoir dit qu’il fallait montrer les vices pour en suggérer le dégoût et en inspirer l’horreur. »

Entre Maupassant et Huysmans, Zola a été la figure la plus représentative du Naturalisme, Non seulement il a formulé les théories de l’école et soutenu le poids des polémiques les plus vives dont elles ont fait l’objet, mais il en a été l’écrivain le plus puissant et le plus fécond. Nous ne ferons pas ici sa biographie et l’étude