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toutes ou chacune prise à part constitue un relais dans le sens de l’aller comme dans le sens du retour entre les impressions et les cellules des étages plus élevés, comme entre ces dernières et les agents du mouvement. Plus nombreuses sont les associations, les voies de grande ou petite communication, plus les opérations se compliquent et surtout plus lent est le cheminement de l’influx nerveux.

En principe, toute impression s’arrête au premier relais et produit son effet immédiat. Tel est le simple réflexe, à quoi se résoud dans ses éléments premiers toute opération dévolue au névraxe. Vous recevez une gifle, tout aussitôt votre bras, mu comme par un ressort, se détend et riposte. Votre entendement n’a pris connaissance de cette révolte défensive qu’après son accomplissement. Vous recevez une escarbille dans l’œil, celui-ci se ferme aussitôt, convulsivement. Le mouvement est si rapide qu’il ne vous appartient pas de l’interdire.

Mais une foule d’actes revêtent des formes plus compliquées, selon que l’entendement, saisi par les impressions, en fait l’analyse, les apprécie, les classe, les atténue ou les renforce, les modifie ou les aggrave, en fait, en fin de compte, un acte apparemment raisonné, par suite spontané. Cette série d’opérations demande du temps, parfois un temps très long. L’acte final peut même être suspendu, devenir latent, virtuel, et attendre une réalisation.

Dans ces cas compliqués, le réflexe simple a laissé place à des réflexes associés. Plus ils s’affinent, plus ils méritent le nom de réflexion, lequel mot fait illusion sur la spontanéité de l’opération qui, en fait, ne désigne qu’une succession de réflexes. De l’extrême bout effilé de la moelle jusqu’aux majestueux territoires de l’écorce du cerveau, ce n’est qu’une série de chaînes et de chaînons entre lesquels n’existe aucune solution de continuité.

Une loi physiologique domine la. biologie, c’est le sens de l’épargne, l’économie de l’effort. Ce n’est point par paresse innée que l’on recherche le moindre effort, c’est uniquement parce que le gaspillage des forces est une atteinte à l’ordre et à l’harmonie naturels qui sont des éléments nécessaires de perfectionnement. Cette thèse est de mise sur tous les plans : le social s’en inspire. Le désordre et la prodigalité seront toujours des causes de troubles.

Or, cette loi du moindre effort s’applique à l’activité du système nerveux. Une impression première se heurte à un relais. Si elle ne produit pas son effet utile, elle grimpe d’échelon en échelon jusqu’à des relais plus élevés, provoquant de-ci de-là sur son passage, des réactions appropriées, jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. Est-elle perdue pour cela ? Point du tout. La mémoire organique est utilisée et c’est grâce à elle qu’une impression nettement différenciée suivra toujours la même voie organique, voie qu’elle connaît pour l’avoir parcourue déjà, qu’elle reconnaît. Plus d’effort de pénétration à faire. Il n’y a qu’à suivre le sentier battu, sans effort. Tel est le secret des habitudes, qui sont le meilleur exemple qu’on puisser donner du moindre effort et de l’automatisme. Si nous analysons bien toute notre activité quotidienne nous parvenons à discerner que les neuf — dixièmes de nos actions sont machinales, irraisonnées. Aucune attention de notre part n’est plus nécessaire pour marcher, monter à cheval, mastiquer nos aliments, saluer, applaudir, que sais-je encore ! Sully-Prudhomme a fort bien dit : l’habitude est une étrangère qui supplante en nous la raison. En fait elle ne la chasse point ; elle se contente de ne plus requérir son concours. Que de gens ne sont que des automates, ceux chez qui les étages supérieurs du névraxe ne sont jamais utilisés. L’habitude est un lit si moelleux que nous tendons à tout transformer en habitude.

Pour penser, associer et conclure, il faut faire effort. En son langage imagé et populaire, Richepin disait du penser : c’est sot et ça fait mal à la tête.

Pour penser il faut emprunter de nouvelles voies, inaccoutumées ; il faut s’enfoncer dans la brousse inextricable de l’écorce cérébrale, dans le réseau des fibrilles qui unissent les cellules géantes les unes aux autres. C’est un plaisir de dilettante, mais c’est un travail, une fatigue, cependant que nous aurons confié les trois quarts de notre vie à l’activité sans éclat des cellules basses, vouées à un travail incessamment répété dont nous n’avons plus conscience.

Raccourcir le chemin à parcourir, exploiter habilement les routes de grande communication, telle est l’habileté normale de la plupart des gens. Faut-il s’étonner que la pensée neuve soit chose si rare, quand la pensée habituelle, automatique est une si grande ressource qu’elle fait illusion au penseur lui-même qui s’étonne parfois d’être aussi brillant pour peu qu’il n’ait point conscience de ses éternelles redites ? C’est ici que les poisons stupéfiants, comme le tabac, l’opium, le vin et l’alcool sont de merveilleux réactifs. Les enseignements qu’ils fournissent à ceux qui savent observer sont un des meilleurs arguments en faveur de l’abstention totale.

Un grand physiologiste suédois, Overton, a démontré que les cellules sont normalement protégées par une enveloppe graisseuse qui interdit à certaines substances nuisibles de faire irruption dans la cellule. Mais cette enveloppe protectrice est justement dissoute par les poisons dits stupéfiants. C’est alors que la cellule envahie par le poison s’engourdit, cesse de fonctionner laissant tout l’empire aux cellules de qualité moindre, celles qui sont disséminées sur le parcours des voies habituelles. L’habitude triomphe aisément et tout narcotisé devient un automate. Jugez un buveur au commencement et à la fin d’un dîner et mesurez la valeur intrinsèque de ses propos, la précarité de ses créations au profit de ses acquisitions machinales. Les ponts ont été coupés entre les cellules des pensées neuves. Le moindre effort est réalisé. Le buveur se croit plus fort, plus vaillant, plus intelligent au moment précis où il est victime de ses facultés mineures.

Le voilà donc l’automatisme. Il sera défini cette activité en apparence spontanée des centres ou groupes de centres de la pensée coutumière échappant au contrôle, souvent même à la connaissance du conscient. Ce qu’on appelle le subconscient et l’inconscient est constitué par la masse énorme des automatismes, dont nous sommes capables. Quoi de plus désirable pour les natures inertes que de s’automatiser ! C’est dans ce fait très simple que gît toute l’explication des narcomanies. C’est si bon de voir s’agiter, se trémousser en quelque sorte notre moi élémentaire, qui, par surcroît, nous donne l’illusion de la liberté ! L’habitude des sentiers battus nous dispense de penser. La routine devient la règle du comportement chez les habitués du vin, de la cigarette ou de la pipe d’opium.



Que sera donc l’obsession au regard de l’automatisme ? On la définira l’apparition plus ou moins soudaine dans le champ de la conscience d’une idée, d’un besoin, d’un désir, qui obstruent momentanément le cours normal des opérations psychiques. Quelle est son origine ? Les partisans de la spontanéité diront : elle s’est formée sur place, sans cause appréciable. Les déterministes diront : ce n’est qu’un souvenir, une exhumation.

J’ai été fort impressionné par un air d’opéra. Je rentre chez moi et tente de m’endormir. Impossible. L’air d’opéra surgit quoi que je fasse, et ce n’est qu’après un temps plus ou moins long, que mes voies psy-