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OPP
1852


OPPOSITION n. f. Si l’harmonieux accord des individus impliquait l’adoption par tous d’un credo unique, l’absence complète d’opposition, il ne serait ni possible, ni souhaitable. Son avènement marquerait la fin de tout effort nouveau vers plus de vérité, de toute tentative pour améliorer notre situation et celle de nos semblables. Loin d’être un signe de vitalité pour une science, l’absence de discussions serait la preuve d’un dangereux arrêt. Car ce qui scandalise les simples : les luttes sans cesse renaissantes, les hypothèses d’un jour, constituent l’obligatoire rançon de tout progrès. Pour rebâtir il faut abattre ; toute marche en avant demande que l’on secoue le poids des conceptions qui paralysent, que l’on brise la chaîne des traditions qui rivent au passé. Parce que d’une clairvoyance implacable, la contradiction détournera encore des conclusions hâtives ou peu fondées, fût-elle fausse, elle reste utile par les observations qu’elle provoque et les travaux qu’elle fait naître. C’est à la suite d’une série de tâtonnements que l’on atteint souvent la vérité. Dans l’ordre pratique, il est de même indispensable qu’une opposition contrôle les dirigeants : l’âpreté des luttes de partis est un signe de vitalité, non de décadence. En morale, le rôle des novateurs hardis n’est pas moins essentiel ; à toutes les époques, ils furent les pionniers de la justice et du droit. Si la foi, entendue dans le sens de croyance irraisonnée, s’avère néfaste, c’est parce qu’elle nous détourne de chercher à voir clair.

Mais qui dit opposition, ne dit pas violences et outrages ; la discussion n’est en soi nullement exclusive de l’esprit de fraternité. L’humble savoir de la raison a définitivement vaincu l’orgueilleuse prétention des dogmes immuables : énoncer des vérités définitives n’est qu’une preuve de vanité ou d’ignorance. Le charme est à jamais rompu des croyances qui fournissaient le prétendu modèle d’un savoir qui ne varie pas. Aussi la fraternité des cœurs est-elle conciliable avec l’âpre souci d’un rigoureux contrôle des manifestations diverses de la pensée ou de l’action. Ce n’est pas entre eux que luttent les chercheurs, c’est contre une nature avare qui garde jalousement ses secrets ; et les constructeurs de la cité future, même lorsque leurs vues diffèrent, peuvent tendre vers un but identique : l’amélioration du genre humain. Lorsqu’elles s’accompagnent de sincérité, les plus graves divergences d’idées s’harmonisent aisément dans une mutuelle estime. La joie du succès ne légitime point une insolente superbe, ni le regret d’un échec les mesquines rancunes de la jalousie. Malheureusement, l’opposition prétendue des doctrines masque souvent une opposition d’intérêts. Certaines sommités sécrètent la jalousie comme l’abeille distille le miel : seules leurs idées sont bonnes et malheur au téméraire qui se permet d’en douter. On prodiguera les insinuations malveillantes, sinon les injures, quand il s’agira d’un égal, et l’on n’hésitera pas à briser sa carrière, si l’on est en présence d’un inférieur. Pour laisser un nom, pour qu’on parle d’eux, les amateurs de célébrité ne reculent devant aucun moyen : celui-ci vole, cet autre achète les travaux d’un inconnu, un troisième utilise ses relations féminines pour être de l’Institut ; des malades doivent leur mort aux expériences intéressées d’un médecin, et des thèses sont refusées afin que le correcteur puisse traiter le même sujet. Arriver, en passant sur des cadavres s’il le faut, voilà, résumées, les aspirations de maints ambitieux. Dans le domaine des arts et des lettres, la jalousie professionnelle s’avère de taille identique. Qu’un peintre, un acteur glorifie ses collègues, c’est chose rarissime ; et nous comprenons mal la haine que se vouent des créateurs de beauté d’un égal mérite. Un livre, supérieur par le style ou la pensée, obtient malaisément les éloges des critiques en renom ; s’il reste superficiel et ne porte ombrage à personne, beaucoup proclameront que l’auteur a du génie. En politique, on est de l’opposition,

non par souci de la justice, d’ordinaire, mais parce qu’on n’a pas accès au râtelier gouvernemental, ou parce qu’on ambitionne de jouer un rôle important. Même dans les milieux d’avant-garde, les critiques ne sont pas toujours désintéressées ; devant les succès du voisin, une jalousie haineuse s’empare de quelques esprits ; dès lors leur impartialité n’est qu’apparente ; ils veulent nuire, voilà leur vrai but. Si la vie des précurseurs est parfois très pénible, c’est fréquemment à cause de ces haines tenaces et sourdes, qui ne désarment pas même devant la mort. Cette opposition-là nous répugne profondément. — L. Barbedette.


OPPRESSER, OPPRESSEUR, OPPRESSION, OPPRIMANT, OPPRIMER. On oppresse un pays ; on opprime un peuple ; on opprime ou on oppresse un ou plusieurs individus. Et tous ceux qui, soit par la force, soit par la ruse, soit par l’éducation faussée, font des victimes de leur méchanceté, de leur autorité, de leurs instincts, de leurs vices, sont des oppresseurs.

Les oppresseurs sont ceux qui, consciemment ou inconsciemment, font acte d’oppression. Et l’on fait cet acte d’oppression quand on étouffe tout bon sentiment, toute initiative généreuse, innés dans l’individu, par une influence quelconque : l’autorité, le mensonge, la calomnie, la perversité, l’intérêt.

L’oppression est l’acte d’opprimer.

Toute guerre est un acte d’oppression réciproque. Les conditions des vainqueurs imposées aux vaincus sont toujours des actes d’oppression, conséquence de la guerre. Les bénéficiaires et les victimes de la guerre sont les uns des oppresseurs et les autres des opprimés. Le Père Lacordaire a dit, pour expliquer l’action d’opprimer : « Toute guerre d’oppression est maudite » (Dict. Larousse). En ce cas, comme toute guerre est une oppression, toutes les guerres sont maudites, car il n’y a aucune distinction possible à faire si l’on se mêle de juger cette honte : la guerre ! C’est du moins ainsi que nous pensons.

Toussenel définit ainsi l’état de celui qui est opprimé : « La misère et l’oppression changent les opprimés en brutes. » (Dict. Larousse).

— Et ceux qui font la misère et qui font les opprimés ? En quoi cela peut-il les changer ? Si l’oppression fait des opprimés, de malheureuses brutes quand la misère s’y joint, nous pouvons croire que Toussenel n’a pu exprimer ainsi toute sa pensée, par le Dictionnaire Larousse, comme nous pouvons l’exprimer ici, sans quoi il eût, je pense, traité d’ignoble brute l’individu cause de misère et d’oppression. À moins que Toussenel n’ait pas étudié ce vil animal.

D’Alembert a écrit, en ce qui concerne ces mots : « Je fais du genre humain deux parts : l’opprimante et l’opprimée ». Cette définition est trop juste pour que nous y ajoutions quelque chose. Certes, nous ne pouvons aimer ceux qui oppriment leurs semblables, mais nous pouvons ne pas admirer ceux qui se laissent opprimer, alors que leur dignité d’homme leur fait un devoir de se révolter ! Mais la révolte, parfois spontanée, se rencontre trop souvent avec le misérable instinct de conservation, dont on ne se débarrasse pas si facilement qu’on le fait de certains parasites !

Il semble que l’on pourrait au moins ne pas s’opprimer mutuellement, comme cela arrive si fréquemment dans tous les groupements humains et presque partout à la surface du monde… Exemples : dans la famille, le père opprime la mère ; la mère opprime les enfants ; les frères oppriment les sœurs ; les aînés oppriment les cadets ; les grands oppriment les petits ; les forts oppriment les faibles, etc. Et cela se passe à peu près dans tous les pays, sous tous les climats. Il est des oppressions qui sont sacrées et consacrées, comme chez nous par le mariage. La morale chrétienne comme la morale