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PAI
1913

versel. La guerre devient plus difficile, parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un réseau plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions et, si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif. Enfin, le commun Idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à l’ivresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. »

Le moyen d’assurer la Paix entre les nations et de mettre les peuples civilisés à l’abri des calamités que cause la guerre a dû être, depuis des temps fort reculés, l’objet des recherches persévérantes et des efforts opiniâtres de la part des esprits les meilleurs. Sully rapporte que Henri IV avait songé à établir, en Europe, une sorte de confédération (on voit que le projet des États-Unis d’Europe est déjà fort ancien) une République chrestienne divisée en quinze Dominations et dans laquelle tous les peuples et, aussi, toutes les religions auraient été placés sur un pied d’égalité. Les représentants des puissances européennes auraient formé un congrès dont les décisions appuyées par des armées eussent empêché toute guerre dans l’avenir. Frappé des malheurs effroyables que causaient à la France les guerres suscitées par le monstrueux orgueil et l’ambition insatiable de Louis XIV, l’abbé de Saint-Pierre, aimable et pieux philanthrope, publia, en 1713, un Projet de paix perpétuelle. Plus d’un demi-siècle après, Kant, le grand philosophe allemand, publia aussi un Essai sur la Paix perpétuelle. Saint-Simon rêva de même de mettre fin aux guerres entre les nations et, en 1814, il développa ses idées dans un ouvrage ayant pour titre : De la réorganisation de la société européenne.

Je fais remarquer, en passant, que ce fut toujours à la suite d’une série de guerres ayant le plus cruellement décimé et ruiné les peuples, que se firent jour et s’exprimèrent les plus ferventes aspirations de paix : sous Henri IV, les guerres de religions ; en 1713, les guerres presque ininterrompues sous le règne de Louis XIV ; en 1814, les guerres de Napoléon Ier. Aussi est-il naturel que les courants pacifistes qui marquent notre époque empruntent leur puissance (voir Pacifisme) à l’horrible guerre mondiale de 1914-1918.

Le monde catholique qui, par sa conception de la divinité, est dans l’obligation de considérer l’Histoire comme le déroulement sur notre planète, d’un plan conçu de toute éternité par un Dieu infiniment puissant, bon et juste, plan dont la prescience divine a tracé dans le temps les moindres détails et auquel, par conséquent, il n’est permis, ni possible à personne d’apporter la plus légère modification, le monde catholique a tenté de justifier le triste, le révoltant et odieux spectacle de l’état permanent de guerre dans l’histoire humaine, par de bien singulières considérations.

Joseph de Maistre (1753–1821), le trop célèbre écrivain et philosophe ultramondain, a osé affirmer que : « le sang humain doit forcément couler sans interruption sur le globe et que la Paix, pour chaque nation, n’est qu’un répit, parce que Dieu se plaît à voir couler le sang de l’homme, ce sang répandu à flot étant une expiation et un moyen de purification. » Cette thèse, au surplus, a été reprise par les représentants et porte-parole les plus qualifiés de l’Église catholique, apostolique et romaine, à propos de la guerre infernale dont le lecteur trouvera plus loin, au cours même de cette étude, le bilan effroyable. Dévots et bigotes furent nombreux qui crurent et croient encore que la guerre ne s’est abattue sur la France et que son territoire ne fut envahi et occupé par l’armée allemande, que pour faire expier à ce pays les lois de laïcité et de séparation des Églises et de l’État. Endoctrinés par les moines et les

curés, beaucoup d’esprits superstitieux et peu cultivés ont été et sont encore convaincus que, si le sang de centaines et centaines de milliers d’hommes à la fleur de l’âge a coulé durant ces cinquante et un mois de monstrueux carnages, c’est parce que la justice divine exigeait ce châtiment ; parce que la sagesse de Dieu nécessitait que ce flot de sang abreuvât le sol de la France pour le purifier et l’assainir ; parce que cette horrible épreuve pouvait, seule, ramener à Dieu le peuple français qui lentement se déchristianisait ; parce que la Volonté de Dieu, qui, parfois, se manifeste par des événements impénétrables au faible entendement des humains, avait décrété que l’atrocité de la faute commise par la nation française oubliant qu’elle est « la fille aînée de l’Église » appelait une expiation non moins atroce. Cette thèse abominable ne peut naître que dans des cerveaux détraqués par le fanatisme et se propager que dans des imaginations maladives. Elle tend à conclure que la guerre est un mal qui ne disparaîtra jamais, un fléau que l’effort des hommes ne peut pas vaincre, qu’il faut s’y résigner et que la Paix définitive n’est ni espérable ni possible. Par bonheur, de plus en plus considérable est la foule de ceux et de celles qui sont persuadés que la Paix, aspiration, espoir, désir présentement, est appelée à devenir de plus en plus besoin, volonté, certitude. C’est parce qu’ils sont persuadés que cette utopie d’aujourd’hui sera la réalité de demain que, dans tous les pays et surtout dans les nations où la civilisation a atteint le niveau le plus élevé, hommes et femmes ont formé des groupements, constitué des associations, organisé nationalement et internationalement des ligues qui travaillent à l’avènement de la Paix (voir le Mouvement pacifiste).

Faible encore, il y a quelques années, ce courant pacifiste devient tous les jours plus puissant et incarne une volonté de paix constamment fortifiée. Rien ne se produit fortuitement et ce n’est pas sans motif que les générations contemporaines s’imprègnent avec une ferveur sans précédent de l’idée de Paix désirable et réalisable.

Vers la Paix. — Arrêtons-nous quelque peu sur les causes qui déterminent et les circonstances qui favorisent cette irrésistible poussée vers l’avènement d’une Paix définitive.

A. — Il y a d’abord l’adoucissement graduel des mœurs. Il est certain que les temps ne sont pas encore venus où les humains renonceront, lorsqu’un conflit les divisera, à recourir à la force pour le trancher. La magistrature souveraine et expéditive du muscle préside trop souvent encore au règlement des différends qui dressent les uns contre les autres ; mais personne n’osera contester que l’emploi de la violence brutale est en régression sur l’époque pas bien éloignée où, sous le plus futile prétexte ou à raison de la plus insignifiante rivalité, la lutte s’engageait, farouche, mortelle, entre les adversaires. Le jour ne s’est pas encore levé où le respect de la vie humaine se sera si solidement installé dans la conscience des individus que, à l’exception de quelques brutes ou anormaux, personne n’attentera aux jours d’autrui. Toutefois, cette idée que l’existence du prochain est une chose sacrée est aujourd’hui beaucoup plus générale que dans le passé.

B. — La multiplication et le perfectionnement des moyens de production, de communication et de transport, le nombre sans cesse plus important des transactions commerciales de pays à pays, la promptitude et la précision avec lesquelles sont transmises les informations qui intéressent le monde civilisé, toutes ces conditions de vie individuelle et collective ont, à ce point, resserré les distances que, malgré sa surface considérable et restée la même, notre globe, comparé à l’immense étendue qu’il était raisonnable de lui assigner il y a seulement un siècle, apparaît de nos jours infini-